Elisabeth 
Gille Le mirador Stock 2000 / 2.88 € - 18.85 ffr. / 422 pages ISBN : 2234052203
Irène Némirovsky, Dimanche, Stock 2000, 370 p. Imprimer
Une mère, écrivain célèbre, au talent reconnu, disparue à Auschwitz à l'âge de trente neuf ans, abandonnée par la plupart de ceux qui avaient reconnu ce talent, voilà un héritage bien lourd pour celle qui possède également l'amour de la littérature et le talent d'écrire. Elisabeth Gille - éditrice et auteur du très touchant Le crabe sur la banquette arrière - attendra d'avoir dépassé l'âge auquel sa mère a disparu pour rassembler souvenirs, documents et témoignages afin de lui rendre hommage. D'autres auraient choisi la biographie. Elisabeth Gille s'est totalement immergée dans le personnage de sa mère, au point d'utiliser le je et de se substituer à elle dans le récit de cette vie si riche, si intense et si cruelle: son enfance, sa Russie, ses premiers émois littéraires, ses distances avec sa propre mère, son exil en France et ses premiers succès. En contrepoint, et comme pour se rappeler à elle-même qui elle est, elle fait précéder chaque chapitre d'un court extrait de sa propre vie.
C'est une totale réussite: un récit à quatre mains en quelque sorte, qui se serait construit par-delà les décennies et les trous noirs de la mémoire, pour un premier et ultime hommage de la fille à la mère Au-delà des seuls aspects personnels, Le mirador est une fresque éblouissante de la Russie prise dans le tourbillon de la Révolution - vue avec les yeux d'une petite fille, puis d'une adolescente, parfois plus lucide que ses propres parents -, de l'exil en Finlande, puis en France, de la constitution de la diaspora russe et juive. C'est également une analyse intéressante de l'identité juive: Irène Némirovsky, comme beaucoup d'autres, l'avait quasiment gommée avec le sentiment violent d'avoir trouvé en France un véritable refuge. Or, il faudra bien qu'elle s'y confronte puisque l'histoire vient la lui rappeler sans ménagements.
Il y a aussi évidemment la figure maternelle: la mère d'Irène Némirovsky est au-delà de ce que l'on peut imaginer, tellement odieuse dans sa volonté d'infantiliser, puis de nier sa fille. Tout comme elle reniera ses petites filles. Elisabeth Gille elle-même en sera, avec sa soeur, directement touchée.
A 50 ans de distance, une fille et une mère, écrivains toutes deux, se répondent. Car Stock sort simultanément Dimanche, un recueil de nouvelles d'Irène Némirovsky. Lues à la lumière du récit d'Elisabeth Gille, elles prennent une nouvelle ampleur et se chargent d'un substrat particulier. L'écriture, très affûtée et précise, touche encore plus profondément le lecteur, qui ne peut manquer d'associer certains récits à des passages de la biographie de l'auteur. Qu'elles se situent dans la Russie prérévolutionnaire, dans l'exil ou dans la bourgeoisie française d'avant-guerre, les histoires d'Irène Némirovsky révèlent une analyse très subtile des différentes sociétés qu'elle met en scène. Aucun comportement n'échappe à son oeil pénétrant. Mais, si le trait est sans concessions, elle a pour ses héros les plus pitoyables un véritable amour, comme monsieur Mitaine, dans L'honnête homme, ou Monsieur Rose.
Avec ces deux rééditions, Stock nous fait un double cadeau: la possibilité de relire ou de découvrir deux grands écrivains, mais aussi d'être le témoin privilégié des retrouvailles d'une fille et d'une mère réunies par la littérature. C'est seulement après avoir écrit Le mirador qu'Elisabeth Gille a commencé à publier ses propres ouvrages, Le crabe sur la banquette arrière et Un paysage de cendres. Mais la maladie a rapidement mis un terme à ce cheminement littéraire personnel. Quant à Irène Némirovsky, les deux romans qui l'ont rendue célèbre - Le bal et David Golder, tous deux portés à l'écran - figurent toujours dans la collection des Cahiers rouges chez Grasset.
Geneviève Duchemin ( Mis en ligne le 08/08/2000 ) Imprimer |