| Lilian Robin Tripalium Les Editeurs Libres 2008 / 20 € - 131 ffr. / 272 pages ISBN : 978-2-916399089 FORMAT : 13,cm x 22cm
Date de parution : 05/11/2008. Imprimer
Après avoir lu le roman de Lilian Robin, on se dit que la lutte des classes et la théorie marxienne ne sont peut-être pas mortes dans luf de leur mise en pratique au siècle dernier. Elles ont juste besoin dun upgrading, dune simple mise à jour. Nest-on dailleurs pas en train dobserver ce que Marx affirmait il y a 150 ans ? Que le capitalisme porte en lui les germes de sa propre destruction ?
Tripalium, des jeunes "Editeurs Libres", est comme la chronique de cette mort annoncée, à partir dun cas détudes, une usine de la région lyonnaise, Plastic Avenir. En deux parties «Anesthésie» et «Réveil» - le roman déroule les parcours de lambdas, sorte didéotypes de la culture dentreprise. Proche de lauteur (Lilian Robin lui-même, en dehors de son activité littéraire, travaille dans le domaine de la prévention des risques professionnels et industriels), Arno Libilin (l´anagramme est manifeste) débarque dans cette usine après son école dingénieurs et quelques mois dans lenfer des prépas (le chapitre sur son expérience de taupin ravivera quelque souvenirs doux/amers chez certains) comme manager ès sécurité et risques
Moins par ses mérites dailleurs que grâce aux calculs politiques du PDG du groupe, linsupportable et pernicieux Monsieur de La Mûre. Autre personnage central, la RRH (Responsable des Resssources Humaines), Carine Soulet, femme seule avec enfant, psychorigide et socialement aigrie
un poème
Lilian est lobservateur de ce biotope étrange quest une usine, ses hiérarchies, ses drames tus, les suicides, les «accidents» plus ou moins fortuits (la rentabilité accentue les risques, et les vengeances peuvent trouver du côté des presses et leur impitoyable mécanique matière à sétancher), le stress surtout. Toute une économie, une symbiose même, liant lusine, principal employeur du coin, à son environnement. Le chapitre où les enfants de lécole se présentent en restituant à la maîtresse lorganigramme entier de Plastic Avenir est aussi savoureux queffrayant : «Bournoy-sur-Pesou, quatre mille habitants, une église, deux supermarchés, trois boulangeries, un dentiste, et, Mlle Terot venait den entrevoir la position centrale, une usine. Une seule et unique usine qui absorbe la quasi-totalité de la population active de Bournoy et de ses environs. Qui fait que les gamins dune classe de CE2 ont déjà une histoire commune, par le biais de leurs parents» (p.131).
Et ce panorama fonctionne, sent le vécu, qui plus est servi par une plume claire et efficace, non dénuée dhumour. Il y a dans cette chronique sociale quelque chose qui fait penser au Germinal de Zola et rappelle les heures de gloire de la lutte ouvrière, le luddisme, la grève générale, le Grand Soir
Qui prennent ici, dans le second temps de la narration, les traits dune insurrection dun nouveau genre. Apprenant par linformaticien, lui-même à bouts, que les lettres de licenciement sont prêtes pour la grande majorité des employés (une délocalisation, plus à lEst, est déjà programmée
), ceux-ci sénervent : grève, occupation des locaux et mise en ligne de lévénement via webcams. Dabord locale, la déroute de Plastic Avenir prend rapidement des proportions nationales
et dramatiques. On sort alors ici de lesquisse sociologique pour rejoindre plus franchement la fiction.
Lécriture devient en effet cathartique : après lexposé des maux, lauteur se lâche et étanche un trop plein quon devine aisément, pour exsuder en mots ce que dautres règlent pendus à une corde, nus et perclus de post-it (si, si
). Est-ce à dire quaucun horizon, quaucun lendemain qui chante nattend ce monde soumis aux diktats de lEntreprise ?
Lépilogue le laisse entendre.
Un roman férocement dans lair du temps, qui renferme en fait deux romans, celui, social et sociologique, dépeignant en mode documentaire cet univers froid et proprement bestial, et celui, plus romanesque, sinon télévisuel ou cinématographique (voir les titres des chapitres de la deuxième partie), de la révolte. On préfère la première partie.
Un roman en tous les cas bienvenu en ces temps de déprise économique et de déprime sociale. Dautres du même genre doivent sans doute déjà sagiter dans les tiroirs des éditeurs
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 05/11/2008 ) Imprimer
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