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Le Beau et la Bête
Neil Bartlett   Rue de la Peau
Actes Sud - Lettres anglo-américaines 2008 /  23 € - 150.65 ffr. / 440 pages
ISBN : 978-2-7427-7821-8
FORMAT : 11,5cm x 21,5cm

Traduction de Gilbert Cohen-Solal.
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À bientôt quarante-sept ans, Monsieur F. œuvre, depuis son plus jeune âge, dans un atelier de fourrures sis rue de Skine Lane, au cœur d’un quartier industrieux du Londres de la fin des années 60. Chaque matin que Dieu fait, il se lève invariablement à 6h20, enfile son costume marron en worsted (d’un modèle identique à celui qu’il portait déjà en 1930), quitte son appartement, emprunte les mêmes rues, les mêmes voies et les mêmes ponts pour arriver sur son lieu de travail. Ses journées et ses soirées se déroulent, elles aussi, sur le mode du rituel que rien ne semble jamais devoir perturber.

Monsieur F., un employé consciencieux, un célibataire engoncé dans sa retenue et à l’apparence ordinaire, un être figé et terne. Seules ses mains sont peut-être susceptibles de trahir une certaine compulsion : «S’il y avait bien quelques chose d’inattendu ou de particulier chez lui, c’étaient ses mains. Elles étaient toujours surmontées de manchettes à la netteté impeccable, fixées par l’unique paire de boutons plaqué or qu’il possédait. Très grandes, mais loin d’être rudes ou masculines comme on l’entend généralement, ce n’étaient pas les mains auxquelles on se serait attendu chez un homme qui les utilisait depuis plus de trente ans pour gagner sa vie. Il portait une montre-bracelet, mais pas d’alliance. Ses doigts, longs et fuselés, étaient d’une blancheur que seules ternissaient des traces de nicotine à l’index et au majeur ; ils étaient manucurés et ne présentaient aucun cal. À les examiner de près – ou par exemple, à les embrasser – on aurait pu dire que ces mains étaient non seulement parfaitement nettoyées chaque soir, mais aussi très soignées, tant la peau de ses paumes était lisse et légèrement parfumée».

Les peaux, tant dans leur texture, leur lustre et leur souplesse que dans leur manière de refléter la lumière, n’ont plus aucun secret pour cet œil aguerri qui débusque la moindre anfractuosité, le plus petit défaut en un instant. Les doigts de Monsieur F. les caressent et les rudoient tout à la fois «de haut en bas, de bas en haut ! dans le sens du poil, et ensuite à rebrousse poil» afin de révéler leur potentiel et déterminer leur découpe. Mais notre orfèvre animalier va voir sa tranquillité, d’abord effritée et finalement totalement bouleversée, par un songe récurrent, à l’atmosphère morbide.

«Je fais parfois ce rêve étrange et pénétrant…» Monsieur F. aurait pu écrire ces mots, s’il avait été poète, et non coupeur-fourreur chez Scheiner & fils, quand le cauchemar a commencé à insidieusement peupler ses nuits et teinter ses jours : un être humain sans visage, nu, ligoté, pendu par les pieds dans sa salle de bain immaculée de vieux garçon, telle une bête morte… Concomitamment à cette intrusion, le neveu du patron, surnommé «Beau Gosse» par les frétillantes couturières de Mme Kesselman, entre en apprentissage-éclair dans l’entreprise familiale. À partir de ce moment, fatidique, Monsieur F. devra composer avec le désir, l’obsession, l’émoi, la violence, la perte de la maîtrise, des sentiments jusque-là inconnus de lui, à apprivoiser ou à exorciser…

Il serait inélégant de déflorer l’histoire de Monsieur F. ; il nous en tiendrait rigueur, l’indiscrétion étant un travers qu’il fuit de ses longues jambes. Alors, nous nous tairons. Toutefois il serait également déplacé de notre part de ne pas nous honorer ici la grâce extrême de la prose déployée dans ces pages par Neil Bartlett (et magnifiquement rendue dans une excellente traduction de Gilbert Cohen-Solal). La délicatesse de son style n’a d’égal que le raffinement de sa langue. Tout est précis, mesuré, juste. Singulièrement juste. Et cela trouble, car cette qualité littéraire est aujourd’hui aussi rare, recherchée et précieuse que les zibelines impériales de Russie. Un conte cruel d’une beauté émouvante et d’une sensualité saisissante ; une exploration de l’âme à la lame.


Samia Hammami
( Mis en ligne le 28/11/2008 )
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