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Littérature -> Romans & Nouvelles |
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La littérature, cette idiotie | | | Jude Stéfan L'Idiot de village Champ Vallon 2008 / 13 € - 85.15 ffr. / 124 pages ISBN : 978-2-87673-489-0 FORMAT : 13cm x 21cm
Auteur du compte-rendu : Ancien élève de lÉcole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à lUniversité de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur les modalités de présences du cinéma dans le roman français contemporain. Imprimer
Avant dêtre un synonyme de «stupidité» ou de «sottise», le terme d«idiotie» désigne, conformément à son étymologie grecque, ce qui est fondamentalement particulier, singulier. Lidiotisme est ainsi «ce qui est propre à une langue». Clément Rosset avait déjà exploité ce sens premier du terme dans Le Réel. Traité de lidiotie (1978). Aujourdhui, lidiotie revient en littérature par le biais du poète Jude Stéfan : LIdiot de village est un court recueil de onze nouvelles déstabilisantes.
La langue est extrêmement soignée, précieuse et «classique», au sens littéraire du terme. Mais ce que les nouvelles mettent en scène est bien moins confortable, et ne laisse pas dinterroger le lecteur. Outre le premier texte intitulé «LAprès-trentaine de monsieur Quetsche» (une très belle variation sur la tentation, le désir amoureux, dans la droite ligne de ces amours impossibles nabokoviens entre une jeune fille et un homme mûr), les autres nouvelles suscitent létonnement. Jude Stéfan choisit dinscrire ses récits dans un univers fictionnel en très léger décalage avec notre quotidien. Tout en y puisant des éléments factuels connus de tous (le baccalauréat, le tennis, la scène de rupture amoureuse
), il sen écarte insidieusement par le biais de labsurde et des comportements de ses personnages. Lécart fictionnel est infime (aussi infime que celui qui sépare un idiot dune personne dite «normale» ?), mais leffet nen est pas moindre pour autant.
La déstabilisation du lecteur se poursuit dans lenchaînement des nouvelles : ces dernières sont de longueurs variables, elles présentent des situations énonciatives fort hétérogènes (on passe dun récit classique à la troisième personne aux discours dun «je» qui ne donne pas son identité : transcription dune lettre, courte rêverie amoureuse
). Les thèmes abordés, très différents a priori, empêchent le repérage de quelconques «fils rouges» qui guideraient le sens et donc notre lecture de lensemble.
Cela ne signifie pas que Stéfan écrive à tort et à travers, au contraire. Lensemble paraît finement concerté, scrupuleusement agencé, et lidiot est bien souvent celui qui cache le mieux son jeu. Mais cela ne doit pas nous empêcher de confesser notre perplexité et notre sidération face à un objet littéraire qui nous fuit sans cesse entre les doigts, telles les pensées de «lidiot de village» (sixième nouvelle), à la logique tout insaisissable. Le recueil de Jude Stéfan est bel et bien une «idiotie», au sens premier : une singularité absolue, qui démontre que la littérature est le lieu du non-conformisme et de la non-conformité : à la raison, aux conventions, au principe de réalité. Lidiotie, ou lautre nom de la liberté absolue de lécriture.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 02/02/2009 ) Imprimer | | |
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