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Polymorphisme d’un texte
Isabelle Sorente   Transformations d'une femme
Grasset 2009 /  17.90 € - 117.25 ffr. / 268 pages
ISBN : 978-2-246-71781-2
FORMAT : 13cm x 21cm
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Transformations d’une femme nous est présenté par son éditeur comme un roman, un «roman-manifeste», précise la quatrième de couverture. De fait, et malgré un découpage de l’ouvrage en brefs chapitres où alternent récit à proprement parler et réflexions d’une narratrice fort proche de l’écrivain (une trentaine d’années, auteur d’une pièce racontant «l’histoire d’une femme harcelée dans un bureau qui finissait par en mourir» — allusion à Hard copy paru en 2001), c’est bien la trame narrative qui domine, essentiellement linéaire puisqu’elle retrace une histoire d’amour, ou plutôt celle d’une passion charnelle qui se mue progressivement en amour.

Quelques retours en arrière viennent nous éclairer sur la personnalité de la narratrice, mais Isabelle Sorente met surtout l’accent sur les métamorphoses de son héroïne – et accessoirement, celles des autres personnages féminins de ce récit. «Tout se transforme, rien ne dure, tout se transforme, encore, encore», tel est le credo de la narratrice, double de la romancière qui, déjà dans l'entretien donné à Parutions.com en 2003, déclarait avoir un projet philosophique : «explorer et défendre une pensée de la métamorphose». L’idée de transformation revient donc de manière obsessionnelle dans ce roman, d’abord sous forme de considérations assez abstraites et confuses pour le lecteur, qui ne fait pas forcément le lien avec les ébats amoureux de l’héroïne et du ténébreux Fabrice devenu son amant, puis illustrée de façon précise, principalement par l’évolution psychologique et amoureuse du personnage principal – dramaturge, rappelons-le, donc hantée par l’artifice théâtral et le jeu des comédiens : la tendresse et la complicité entre les amants viennent se substituer peu à peu à la sauvagerie des rencontres adultérines (ce qu’elle appelle la «prostitution initiale») ; la femme «libre» se met sagement en ménage avec son partenaire ; puis, quand elle en vient à tromper ce dernier, elle endosse divers rôles pour conquérir ses proies masculines ou féminines, suivant ainsi l’adage selon lequel la trahison c’est «épouser la forme d’un être qu’on aime, et le donner à un autre» (dans ses entreprises de séduction, elle joue donc à être Fabrice, ou se glisse dans la peau de ses amies Héléna ou Agnès). Femme aux mœurs libérées, elle se métamorphose également en conjointe jalouse, pour connaître une ultime mutation : lorsqu’elle invite Agnès à partager son lit avec Fabrice, la jalousie laisse place in fine à un sentiment «très tendre» pour sa rivale, devenue la compagne du couple qui s’enlisait dans le quotidien.

Malheureusement, et malgré la volonté affirmée dans le chapitre initial d’analyser la femme libre et ses mystères, on a finalement affaire à une histoire de séduction qui ressasse tous les clichés de la littérature sentimentale : ainsi, quand il s’agit de décrire Fabrice, le beau mâle qui éveille initialement le désir de la narratrice, il est toujours question de sa beauté animale, de ses jambes animales, de sa langue animale, de son animalité… Son côté voyou et ses récits de globe-trotter augmentent son potentiel attractif et font naître chez l’héroïne des interrogations de midinette dont la profondeur philosophique n’est pas absolument patente : «Suis-je en train de jouer l’amoureuse, passionnément, ou de tomber amoureuse de Fabrice Nordmann ?» A l’exception de quelques passages un peu digressifs où la réalité d’un vécu transparaît véritablement (le chapitre «Reines et dévoreuses», sur l’expérience des réunions de Boulimiques Anonymes, par exemple), ce récit, au canevas finalement très convenu, ne parvient pas à nous intéresser. De métamorphoses l’on nous parle à chaque page mais s’il est quelque chose d’hybride, de mutant, c’est surtout le texte d’Isabelle Sorrente lui-même, qui hésite entre plusieurs genres et entre plusieurs styles sans parvenir véritablement à se trouver.

Ainsi, la description des étapes successives de la passion amoureuse permet de recenser tous les poncifs de la littérature érotico-pornographique : bisexualité, prostitution, clubs échangistes, triolisme, sado-masochisme... L’auteur en profite pour glisser de manière récurrente quelques mots crus, mais sans oser aller jusqu’au trash d’une Virginie Despentes, dont les intrigues paraissent comparativement beaucoup plus palpitantes. Les phrases courtes, non verbales, la syntaxe malmenée, les répétitions renverraient, elles, plutôt à une autre littérature féminine contemporaine où la thématique sexuelle et amoureuse tient aussi le devant la scène, celle de Christine Angot. Mais là encore, Isabelle Sorente n’ose pas s’engager totalement dans cette voie, et au lieu de renouveler le genre, se contente de l’effleurer. Les quelques jeux stylistiques semblent d’ailleurs tourner à vide : passé simple et passé composé s’entremêlent sans produire d’autre effet qu’un sentiment d’incorrection grammaticale, le mode de narration varie dans quelques chapitres où le «je» féminin laisse place à «elle», à «vous» lecteurs – sous prétexte de lui offrir le pouvoir de se transformer en la narratrice – ou bien encore à une première personne masculine («J’écris cela au masculin, non pour le mâle que je ne suis pas, mais pour préciser mieux le narrateur de cette histoire, qui n’est pas une femme mais cela qui joue la femme, comédien aux bas filés…»).

Transformations d’une femme se veut également «manifeste» et son auteur «écrivain-philosophe», engagée «dans une démarche ontologique» (cf. le même entretien). Hélas, dans ce genre comme dans l’autre, le lecteur devra se contenter de lieux communs, illustrés des développements très scolaires qui entrelardent la narration, sur la polysémie d’un mot (couple), sur une étymologie (taquin) ou une figure mythologique (Médée). Qu’on l’apprécie ou non, La Vie sexuelle de Catherine M. réussit avec plus de maîtrise, dans ce genre, à jouer du contraste entre la description minutieuse et crue de la sexualité de l’auteur et une théorisation de ces expériences dans un langage précis, soutenu et analytique. Ou bien encore, dans un autre style, Annie Ernaux excelle depuis ses premiers écrits à peindre sa vie intime sans complaisance ni fioritures, dans une écriture épurée, pour ne pas dire acérée. Néanmoins, on notera que même ce brillant écrivain s’est quelque peu enlisée en choisissant comme unique sujet ses expériences sexuelles (on pense notamment à L’Occupation ou à L’Usage de la photo), avant de retrouver un nouveau souffle avec le superbe Les Années, que d’aucuns considèrent comme son œuvre la plus aboutie. Souhaitons à Isabelle Sorente que les tâtonnements de Transformations d’une femme soient la préfiguration d’un bel ouvrage à venir.


Stéphanie Collard
( Mis en ligne le 25/02/2009 )
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