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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Philippe Carrese Enclave Plon 2009 / 20 € - 131 ffr. / 322 pages ISBN : 978-2259209755 Imprimer
Un camp de travail perdu dans les sommets des Tatras en Slovaquie : tel est le camp de Medved, «centre de production de cercueil pour lAllemagne en déroute». Le jeune Matthias Eide, «petit lézard» de son surnom - témoigne de la vie qui sorganise dans ce camp une fois les Nazis partis. Comment les prisonniers vont-ils survivre ? Comment organiser une nouvelle vie sans ordre et sans menace ? Quelle société ces hommes vont-ils organiser ?
Lespoir domine les premiers jours. Une nouvelle société sorganise : la «République de Medved». Chaque groupe - des menuisiers aux Italiens - et chaque baraque ont leur représentant au conseil de la nouvelle République. Les décisions sont prises de manière collégiale. On tente sans succès de séchapper de Medved mais les seules sorties possibles sont piégées et ces hommes seuls sont désormais des prisonniers sans geôlier. Comment vivre dans cette «enclave» ? Seul espoir : on finit par découvrir des réserves de nourriture qui vont permettre à tous de survivre.
Le livre de Philippe Carrese sombre alors dans le pessimisme le plus grave. Très vite, un homme, Dankso, simpose à la tête de lorganisation : le nouveau monde ressemble à lancien. Chacun est manipulé. Les premiers boucs émissaires sont désignés. Ici, ils ne sont pas juifs, ils sont italiens et les discours sur linégalité des races réapparaissent. La société décrite est celle de nimporte quelle société totalitaire : elle a son chef, sa police, son tribunal, et son ennemi lAllemand dont on craint sans raison le retour pour justifier la terreur.
Celle-ci est omniprésente, symbolisée par le gibet qui ne tarde pas à être de nouveau utilisé. Aucune opposition nest tolérée, quil sagisse de celle de Milos ou des critiques dAnja, la mère de Matthias : ils disparaissent, victimes des décisions arbitraires de Dankso et de la confiance que le peuple de Medved place dans son chef. Seul le silence désapprobateur du professeur Mateusz, «médecin» du camp, dont la présence est nécessaire, est toléré.
Cest un défi difficile que relève et réussit ici Philippe Carrese : oser faire des victimes des bourreaux. On songe à la lecture du livre à limpératif social du témoignage «Lindispensable mission du scribe» - qui sest aujourdhui imposé aux réfugiés des camps de la mort. Lère du témoin est ici contournée pour mieux évoquer la terrible humanité du totalitarisme. La vie après les camps nest ni celle de linsupportable culpabilité de celui qui a survécu, ni celle de celui qui renaît à une nouvelle vie mais la répétition perpétuelle dun même monde dont témoigne la permanence de la figure du chat, quil sagisse de celui de lancien chef du camp, Krebs, ou de celui de Dankso : le diable ne disparait jamais.
Lhabilité de lauteur réside notamment dans le fait de confier son récit au jeune Eide. Quel regard ladolescent porte-t-il sur le nouveau monde qui se construit ? Les yeux dabord naïfs de lenfant senthousiasment pour la société de Medved. Ils deviennent de plus en plus critiques au fur et à mesure quil grandit. Le regard se fait plus fin et les remarques plus justes. Sur les ruines du camp allemand, renaît la barbarie mais aussi un de ces esprits seuls capables de la combattre.
Grégory Prémon ( Mis en ligne le 16/09/2009 ) Imprimer | | |
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