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Berlin année zéro
Jean-Yves Cendrey   Honecker 21
Actes Sud - Domaine français 2009 /  18 € - 117.9 ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2742785377
FORMAT : 12cm x 22cm
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Le Honecker du titre, ce n'est pas Erich Honecker, l'homme qui dirigea la République démocratique allemande entre 1976 et 1989, mais Matthias Honecker, un personnage dont l'existence n'a pas la même envergure. Sorte de raté, de looser, il a un boulot alimentaire dans la téléphonie mobile – qui rapporte plutôt bien, un patron assez beauf qui tyrannise ses employés, une copine intellectuelle qui ne l'aime pas pour lui-même, mais pour ce qu'elle compte faire de lui, à force de lectures, certes estimables, mais qui lui tombent des mains, des parents qui se demandent bien de qui il peut tenir... A l'approche de la trentaine, il apprend qu'il va être père, sans avoir le souvenir d'avoir souhaité le devenir. Sur ces entrefaites, sa copine se paie le luxe de s'abandonner au baby blues et son quotidien devient plus que jamais barbant. En direction de la frontière polonaise, un soir de premier janvier, convié à un dîner de remotivation aussi sordide qu'inutile dans un hôtel minable, Honecker se demande vraiment ce qu'il fait là.

Honecker, c'est l'homme moderne, comme on l'est tous, ou du moins, comme le modèle social cherche à nous en imposer l'image : une petite vie tranquille bien conformiste, des relations imposées, une existence de consommateur qui doit changer de voitures et de machines à café comme de chemises. Bien installés dans leur vie de couple branché, Honecker et Turid se surprennent dans ce «frénétique mouvement d'acquisitions ménagères». «Ils avaient encore remarqué chez certains couples patinés que cette fringale était le signe avant-coureur d'une séparation» (pp.27-28). Entre salles de gym et grandes surfaces, le personnage entre soudainement dans une crise existentielle.

Martyrisé par tout ce qui l'entoure, surtout par les objets inanimés, qui semblent bel et bien être dotés d'une âme – voitures qui tombent perpétuellement en panne, machine à expresso lâchant un dimanche, couronne que le dentiste lui a posée au prix de souffrances atroces, Honecker se laisse progressivement aller à une spirale destructrice et autodestructrice qu'il semble ne pas pouvoir contrôler. Plongeant allègrement dans l'absurde et le grinçant, il brise son existence terne en multipliant les actes surréalistes. «Je suppose que tu m'en crois incapable, et tu as sans doute raison», dit-il à la sourde et muette Kubain, son nouveau fantasme de femme flasque et molle (p.126). Avec Berlin pour arrière-plan, cette ville encore marquée par la barbarie humaine du XXe siècle, le gravas devient le symbole de l'existence d'Honecker, englué dans un tragique quotidien. Comme une mécanique cassée, le personnage se met à tout faire à l'envers, à accumuler les cailloux pour bloquer les rouages de la machine sociale.

Déclarant, à propos de La Maison ne fait plus crédit (Éditions de l'Olivier, 2008), qu'il ne pouvait envisager une écriture calme et tranquille, une écriture qui ne serait pas cruelle, Jean-Yves Cendrey maltraite son héros comme les personnages de dessin animé, qui accumulent les tuiles et les coups. Honecker s'en trouve plus amoché qu'eux, mais il semble marqué par la même indestructibilité. Il évoque également le souvenir du Charlot des Temps modernes, proie des machines. Cendrey le traite avec ironie et dérision, mais la focalisation interne qui investit tout le récit et tend même au monologue intérieur montre bien où se situe le point de vue. Et les «fions mâles et femelles» qu'Honecker croise sur sa route ne sont pas vraiment mieux traités (p.196).

Mimétique des errements de la pensée d'Honecker, la narration ne peut être linéaire : elle s'emballe dans de longues analepses, suit un parcours circulaire, piétine et ressasse. La syntaxe se fait tortueuse («Avoir feint d'être dupe pour s'être sentie touchée qu'il veuille l'abuser, voilà qui serait chez Turid la marque d'une mansuétude qu'Honecker ne pourrait pas mal prendre malgré son dépit d'avoir été percé à jour [...]», p.158), tandis que l'écriture multiplie les comparaisons cyniques et grinçantes.

Le récit fait souvent rire, mais jaune, au beau milieu de ce chaos amer. L'écriture de Cendrey donne un aspect jubilatoire et grotesque à ce portrait violent du monde tel qu'il est. Loin de la satire plate et sans intérêt, ce nouveau roman, dans lequel on retrouvera bon nombre de ses thèmes de prédilection, attaque frontalement et s'engage résolument sur la voie de la déconstruction. Honecker 21, ou chronique du XXIe siècle. Ce chiffre fait aussi référence aux chapitres, qui sont au nombre de 20. «Un chapitre est manquant, parce qu’il y a un trou dans la vie d’Honecker, que la fin du récit s’attache à combler, comme une dent creuse» (Jean-Yves Cendrey, sur le site internet de l'éditeur).


Françoise Poulet
( Mis en ligne le 19/08/2009 )
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