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Littérature -> Romans & Nouvelles |
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Les nourritures spirituelles de Nathanaël Crill | | | Stéphane Beau Le Coffret - A l'aube de la dictature universelle Le Petit Pavé 2009 / 15 € - 98.25 ffr. / 147 pages ISBN : 978-2-84712-217-6 FORMAT : 14,5cm x 20,5cm Imprimer
Quoi de plus banal, alors que lon tente de décoincer le cadavre dun oiseau mort sous une poutre, que de dénicher dans son grenier un vieux coffret contenant quelques livres ? Rien, si ce nest que Nathanaël Crill, à qui arrive cette mésaventure, ne vit pas à notre époque, mais à celle, très proche, de la «Dictature universelle».
Dans la société où il évolue, fourmilière aseptisée dont il nest quun élément amovible et précaire, vaste entreprise régie par les principes de la transparence managériale et de la Communication sous surveillance, Crill na plus accès à ce qui était auparavant la source même du savoir : le livre. Cet objet encombrant, éminemment subversif, a tout bonnement été abandonné, évacué, au profit dune immense base de données virtuelle. Il est obsolète dans un monde où se poser des questions philosophiques, cest déjà être suspect de mauvaises pensées, de dissidence, de terrorisme.
Nathanaël Crill exhume sept titres de leur étui. À côté des maîtres ès soupçon dont il na jamais entendu parler (Nietzsche, Thoreau, Jünger, Palante, Montaigne et Freud), un manuscrit attire son attention : il est signé du nom de Jean Crill, le grand-père du jeune homme, qui fut jadis assassiné pour des raisons jamais élucidées. Les certitudes de Nathanaël vacillent alors, au contact des doutes émis et des appels au «recours aux forêts» formulés par les auteurs quil se met à lire en Candide débarquant au pays des Individus. Le récit de son ancêtre le persuade quant à lui quil ne vit pas dans le monde idéal auquel on voudrait lasservir volontairement. Nathanaël commet la fatale imprudence de lancer, à partir de son ordinateur personnel, des recherches sur lEncyclopédie officielle à propos de ses lectures. Il y apprend que les auteurs de Walden ou des Essais ont été victimes de la grande Relégation de 2063, rien de plus. Il ignore également que la vigilante Police de la Pensée est déjà lancée à ses trousses
Ce premier roman de Stéphane Beau qui ne constitue pas, comme on pourrait sy attendre, quune resucée des utopies négatives à la Fahrenheit 451 est riche de promesses. Il se nourrit de préoccupations inquiétantes et fondées à propos du devenir du livre en «Démocratie». Les figures tutélaires sous lesquelles il se place, les questionnements bernanosiens du type «La Liberté, pour quoi faire ?» que lauteur développe à travers les yeux de son personnage, donnent à ce récit des allures de Traité du Rebelle à lusage des non-avertis.
Gageons que, sil némouvra pas les masses, ce texte fera froncer les sourcils de quelques-uns qui se demanderont : «Cest vrai, après tout, si lobjet que je tiens entre les mains devenait hors-la-loi, quen serait-il de ma dignité, de ma lucidité, de mes capacités de résistance à lagression du monde ?». Ils se mettront peut-être à leur tour en quête dun coffret. Et sil ne servait même quà déciller quelques dupes, on pourrait affirmer que le livre de Stéphane Beau est une totale réussite.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 05/10/2009 ) Imprimer | | |
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