| Giovanni Maria Bellu L’Homme qui voulut être Peron Actes Sud 2010 / 23 € - 150.65 ffr. / 347 pages ISBN : 978-2-7427-9111-8 FORMAT : 11,6cm x 21,8cm
Traduction de Marguerite Pozzoli Imprimer
Le narrateur un journaliste romain réputé, plutôt de gauche vient de perdre son père, là-bas, en Sardaigne
Retour au pays, tri des affaires entre la maison familiale (le «gratte-ciel») et la maison de campagne, enterrement, rencontre des vieux amis et de la parentèle. La mort du père, du «Vieux», ramène le narrateur à son enfance sarde, ses racines, sa langue, sa mémoire : cest le livre dun homme mûr qui redécouvre son passé, un père fasciste par fidélité, un coq de village, un magistrat austère et droit
le topos classique du deuil littéraire !
Mais le cur de ce roman réside ailleurs, avec un petit ouvrage débusqué dans une vieille librairie sarde, le livre, à la couverture décolorée, dun érudit local qui prétend que Juan Peron, le dictateur argentin, nétait en fait quun émigré sarde, Giovanni Piras. Et lauteur de se laisser happer par ce mystère, qui le ramène à dautres mystères, plus familiaux, aux non-dits des relations père-fils, jusquà enquêter dans toute la Sardaigne, re-parcourant, au hasard de ses rencontres, des chemins traversés par Piras et retraçant son histoire ! Retour non pas sur une vie (celle de Piras) mais sur des destins, bizarrement imbriqués, des personnages en quête dhistoire ?
Une vraie découverte que ce roman qui touche juste, la question de lidentité traitée dun point de vue littéraire fin, subtil, poétique, à travers la quête dun journaliste confronté à une énigme et qui se retrouve en fait entraîné dans une enquête sur sa propre enfance, comme on remonte le cours dun fleuve. Avec ce petit supplément dâme que constitue lidentité sarde, à la fois oubliée et revendiquée, des racines recouvertes par la vie et qui ne demandent quà sortir de terre. Et dans ce récit dun deuil, Peron va jouer le rôle de la catharsis, obsédant le narrateur, laiguillant à travers les campagnes sardes, le long des chemins, via des villages perdus, écrasés de soleil, dans les demeures familiales et leurs archives poussiéreuses
On rencontre les vieux sardes, on discute, on croise du monde, on essaie de discerner une vérité enfouie sous des légendes familiales et de vieux souvenirs.
Le lecteur plonge dans un roman labyrinthique que naurait pas désavoué un Borgès, un roman où lintrigue va, constamment, du narrateur à son sujet, le cas Giovanni Piras, dans une relecture permanente de lhistoire du siècle, sarde et argentin. Une enquête à la fois policière, historique et mémorielle qui joue sur le couple vérité/vraisemblance et qui finit par troubler («si ce nest pas vrai, cest bien trouvé», dit le proverbe italien !).
La plume de Giovanni Maria Bellu est légère, elle senvole à travers les chemins de lîle
et dans le même temps, cest la plume dense dun homme qui redécouvre peu à peu ses racines, ses mots, la langue de son enfance, ses souvenirs
En jouant sur le double destin dun Peron qui fuit ses racines et du narrateur, qui les retrouve, lauteur propose une sorte de canevas complexe, intensément poétique, qui ramène chaque lecteur à sa propre histoire, à son propre passé : étonnante vertu de ce beau livre, traduit avec dautant plus de finesse que la langue sarde y joue un rôle majeur, quil ne fallait pas écarter.
Une enquête qui passionnera les amateurs dhistoires et dHistoire.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 25/06/2010 ) Imprimer | | |