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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Alexandre Lacroix L’Orfelin Flammarion 2010 / 19 € - 124.45 ffr. / 283 pages ISBN : 978-2-08-124131-2 FORMAT : 13,5cm x 21cm Imprimer
Dans un livre qui clôt sa trilogie autobiographique et quon pourrait qualifier duvre «de la maturité», Alexandre Lacroix sattarde sur trois étapes, trois césures de son itinéraire. Pour solde de tous comptes avec les «fantômes» (p.248) dun passé qui a du mal à passer. Pour comprendre et pouvoir enfin passer outre les «fruits empoisonnés» de son arbre généalogique (p.222) ; analyser les rapports familiaux et léducation parce quils constituent «le moule dans lequel nous avons pris forme», puis regarder seulement devant soi, parce que «pour vivre heureux, il faut balancer le moule» (p.283).
Trois abandons «in utero», «in vivo», «in petto» structurent le roman : cest dabord la trahison du père pendant la grossesse qui devait donner le jour à Alexandre, et dont ce dernier nentendra parler que 30 ans plus tard ; puis le suicide de ce père adoré, qui laisse un vide existentiel ; et enfin le quasi-reniement de la mère, outrée des révélations de lauteur sur son compte dans un précédent roman. Regardés en face, travaillés dans lécriture, ces abandons sont autant détapes de construction de soi, dévolutions vers une forme de libération qui devient presque une posture de détachement philosophique.
Car en parlant de ses proches, Alexandre Lacroix parle de lui, bien sûr. Dans la première partie, cest un vieux secret de famille la syphilis rapportée à la maison par un père infidèle qui le renvoie à ses propres démons. Relatées à travers le récit (tendre et cynique) dune rencontre improbable et malhabile entre deux corps (et deux âmes) en perdition, ses pulsions dautodestruction sont assumées : lauteur, alors jeune père de famille, se sait lui aussi «ivre, avide de néant, denvoyer balader, par une jouissance volée, tous les liens qui (le) rattachaient aux autres» (p.43).
Au fil de la deuxième partie, on suit le narrateur dans un pèlerinage vers son village natal, La Villedieu, où il va ranger et emballer les affaires de son père : dix-sept cartons, toute une vie. Ces pérégrinations sont loccasion dun retour sur lannée 1986, celle où il a retrouvé son père pendu au bout dune corde. On y découvre les rapports entre ce père aimé et un gamin qui grandit trop vite à devoir veiller sur lui. Laccident de voiture, lalcoolisme, puis la métamorphose, les grandes marches, les leçons de catéchisme, les tentatives de nouvelle vie, les compagnes éphémères, les chances ratées : cest le récit des montagnes russes de la dépression car «y a-t-il en ce bas monde un homme dont la volonté soit aussi droite que la corde dun pendu ?» (p.71). De tournées dans les bars minables aux palaces cinq étoiles se dévoilent les fêlures du père et du fils. Et toujours loscillation entre la confrontation avec la réalité et la fuite, avec lomniprésence de la pesanteur et de langoisse dans les moments les plus légers parce qu«il nest pas possible de congédier complètement lobscénité du réel, même au cur du plus soigné des décors» (p.146).
Lauteur nous avait prévenu : il y a parfois des «petits événements qui font dire que la réalité dépasse la fiction. Qui prêtent à la vie lallure dun roman» (p.13). Dans cette partie centrale, sans contexte la plus réussie, cest le roman qui a lallure de la vie, qui se détache de la linéarité habituelle du récit pour narrer les hauts et les bas, les moments denthousiasme et de désespoir, de partage et de solitude, de guérison et de rechute. Contrastant avec le ton des premières pages du roman, cest ici la pudeur qui domine et enveloppe la description dindicibles moments de complicité. Mais de lenfance perdue, considérée pourtant sans nostalgie, il ne reste que les souvenirs, «trésor dérisoire face à lampleur du deuil» (p.137).
La troisième partie fait quant à elle la part belle au récit de la relation avec la mère, de lenfance à aujourdhui. Ce nest pas un hasard si elle souvre sur larrivée du fils du narrateur, qui scelle aussi le «divorce» davec sa propre mère : devenu père, le sujet sémancipe, décide de ne plus renvoyer à une date ultérieure les mises au point avec une mère aux murs libres et libératrices, mais bien peu maternante. Qui na jamais compris pourquoi son enfant se sentait «orfelin», grandi «à lécole de la solitude» (p.282) et qui, surtout, la bridée dans son désir décriture. Ce dernier volet du roman sachève sur un bilan, et regorge de méditations sur le sens de lexistence et de lécriture : quelle signification donner au récit de soi ? Quest-ce que le «destin», sinon le résultat de nos efforts pour rassembler les éléments et donner une cohérence à des itinéraires en refusant lidée que les coïncidences puissent être le pur fruit du hasard ? Pourquoi avons-nous besoin de ces «reconstructions a posteriori», de nourrir cette «illusion selon laquelle les événements marquants d'une vie obéissent à des motivations puissantes et nécessaires» (p.181) ? Peut-on se libérer du poids de lhérédité ?
On serait tenté de dire que le récit des étapes du «travail de deuil» à luvre dans le roman (même si lon hésite à utiliser ces termes tant la psychanalyse en prend pour son grade) se serait suffi à lui-même. Car lorsque lécriture-analyse se fait trop explicite, tire des leçons, et évolue vers des considérations philosophiques, la saveur de la langue sen ressent ; le roman cesse dentraîner le lecteur, dérive vers un nombrilisme accusé qui imprègne tout louvrage, certes, mais qui, tout dun coup, dérange, voire lasse.
Espérons que le lecteur, peut-être un peu déçu par les dernières pages et agacé des adresses répétées et maladroites du narrateur pour limpliquer, aura lenvie de procéder lui aussi par retours en arrière ; il se délectera alors de la relecture de quelques très belles pages, de ces récits de rencontres qui, tout en faisant léconomie de digressions philosophiques, nous parlent bien mieux du sens de la vie. Qui nous disent par exemple que «vouloir être libre, par les temps qui courent, est un synonyme possible du verbe : se suicider» (p.23). Et que pourtant, il est bon dêtre libre et dexister, quand on a fait le point et qu«il ny a plus rien devant ni derrière» (p.198).
Claire Aslangul ( Mis en ligne le 20/08/2010 ) Imprimer
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