| Alain Fleischer Imitation Actes Sud 2010 / 22 € - 144.1 ffr. / 342 pages ISBN : 978-2-7427-9361-7 FORMAT : 14,5cm x 24cm Imprimer
Le narrateur dImitation est un tout jeune professeur duniversité, en Europe de lEst, qui rédige, sous la direction de son vieux professeur Kalman, une thèse sur la notion dimitation. Cette thèse prend la forme dune fiction mettant en scène un personnage, Mimmo, qui dès son plus jeune âge imite tout ce qui lentoure, objets comme êtres, à la manière dun caméléon. Au cours de ce travail de recherche, le protagoniste lui-même va être confronté à des événements étranges : résurgences historiques de la Seconde Guerre mondiale, apparitions et hantises, confusion amoureuse et érotique entre sa maîtresse Lucia et la mystérieuse sur jumelle de celle-ci, Nell
Dès les premières pages, on reconnaît très vite le style, les thèmes favoris et le «geste» dAlain Fleischer, coutumiers que nous sommes de son uvre littéraire prolifique, extrêmement cohérente, construite depuis plus de vingt ans. Malheureusement, en reprenant tous ces ingrédients qui lui sont propres, Imitation représente pour lécrivain une étape décevante dans ce parcours ; on dira même, pour suivre le fil conducteur du texte, quentre imitation et répétition la frontière peut être bien difficile à établir. En effet, le livre apparaît avant tout comme une sorte de reprise synthétique de tous les procédés stylistiques et narratifs de ses précédents textes, sans jamais proposer la moindre surprise, ni la moindre tentative de renouvellement (noublions pas, avec Deleuze, que la véritable répétition est aussi «différence»
). Imitation est ainsi, à nouveau, un roman à la première personne, qui mêle méditation et narration, qui se déroule en Europe de lEst, et qui fait alterner monologues réflexifs, scènes quasi fantastiques et scènes érotiques, avec une certaine volonté allégorique. Fleischer a déjà fait cela, très brillamment parfois (pensons aux Angles morts, à La Hache et le violon, et surtout à Moi, Sàndor F. tout récemment).
Le problème est quImitation semble nêtre quune nouvelle copie, souvent appliquée et maladroite, de ses précédentes uvres. Au lieu de nourrir son texte par une trame fictionnelle, Fleischer choisit un point de départ philosophique (pour schématiser : le monde est régi par le mécanisme de limitation, lHistoire bégaie). Or, ce sujet, séduisant a priori (art et imitation, vieux couple toujours dactualité
), est traité de façon trop didactique ou simpliste (le personnage de limitateur sappelle de façon sur-signifiante «Mimmo»
) pour convaincre et intéresser totalement. De même, ce «carcan» notionnel conduit Fleischer à élaborer une sorte de théorie de lHistoire qui fera sûrement bondir quelques spécialistes, à savoir que lextermination des Juifs dEurope par les nazis est une imitation de la Terreur révolutionnaire française. Sans vouloir légitimer les faits et gestes de Robespierre et de ses camarades, on peut sétonner dun tel rapprochement, avec un phénomène quon a pensé, précisément, comme inédit, dans ses buts comme dans son déroulement. Enfin, Imitation déçoit également dans ses allusions à lactualité contemporaine : au cours de longs et verbeux monologues (du protagoniste ou de son professeur, Kalman), on entend surtout Fleischer lui-même donner son propre avis, dans une volonté totalisante dinterprétation, sur une palette de sujets, sautant de lun à lautre sans véritable problématisation (lécologie politique comme danger, le conformisme dans lart contemporain, la théorie du complot, le conflit israélo-palestinien, les émeutes en banlieue
). Là encore, cest la fictionnalisation qui fait défaut : Imitation demeurant une sorte dessai camouflé en roman.
Lémotion manque donc au livre, à quelques scènes saisissantes près (une apparition de spectres en forêt, un spectacle érotico-horrifique dans un cabaret borgne, voire les trente dernières pages, qui basculent dans une profusion narrative aussi grotesquement jouissive que terrifiante). Cela confère à Imitation une certaine lourdeur, que lécriture volontairement «exhaustive» de Fleischer souligne plus encore (lellipse, narrative comme commentative, est complètement absente du texte lauteur décrit, commente et raconte tout, en insistant sur les procédés de répétition). On attend du prochain livre de cet artiste talentueux et multiple, soit quil assume complètement un souffle romanesque qui nourrit sa réflexion (comme dans Moi Sàndor F.), soit quil reprenne un dispositif clairement interfaciel (où un essai alterne et dialogue avec un récit), comme cétait le cas dans Mummy Mummies. Retrouver la fiction pour contribuer à la réflexion, ou linverse, pour ne pas sacrifier et lune et lautre.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 20/09/2010 ) Imprimer
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