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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Lionel Shriver Double faute Belfond 2010 / 21.50 € - 140.83 ffr. / 444 pages ISBN : 978-2-7144-4370-0 FORMAT : 14cm x 22,5cm
Traduction de Michèle Lévy-Bram Imprimer
Lorsque Lionel Shriver rencontre enfin le succès avec Il faut quon parle de Kevin, lauréat du prestigieux Orange Prize en 2005 (traduit chez Belfond en 2006), elle a déjà écrit six romans restés dans une ombre inexplicable. Double faute, sorti en 1997 aux U.S.A., en fait partie ; pourtant la romancière américaine y prouve déjà son talent incroyable à démonter les idées reçues et autres principes moraux caducs. Si elle remet en cause lamour maternel dans Il faut quon parle de Kevin, elle sattaque dans Double faute au mariage comme garant dans le couple dune harmonie durable et constructive. Cest la chronique dun échec inévitable et douloureux quelle raconte avec une incisive subtilité.
Willy, vingt-trois ans, est joueuse de tennis professionnelle. Malgré les sacrifices consentis depuis quelle est petite et le travail acharné quelle fournit, elle peine à gravir les échelons du classement mondial, ce qui conforte ses parents dans lidée quelle fait une grosse erreur. Elle ne peut cependant envisager de renoncer. «Je suis une joueuse de tennis. Point. Impossible de mimaginer être autre chose tout en restant moi-même. Si je cherchais des explications, elles ne seraient qua posteriori. Des rationalisations, quoi».
À la manière du Prince Charmant, Éric surgit alors dans sa vie. Ce brillant diplômé de Princeton na commencé à jouer quà dix-huit ans et sest mis en tête dentamer une carrière tennistique subventionnée par ses parents tout en sachant quil ne sagit en rien dune vocation mais dun défi. Dun coup de foudre réciproque naît une relation qui semble prometteuse, chacun aimant sincèrement lautre et souhaitant laider à progresser. Le mariage dans lequel ils sengagent rapidement démarre ainsi sur les bases dun partenariat bénéfique.
Malheureusement, le conte de fée sarrête là car le sentiment amoureux ne se satisfait pas de déséquilibre. La partie, à première vue anodine, quils jouent pour célébrer leur premier anniversaire de mariage voit la première victoire d'Éric sur son épouse. La défaite se révèle amère pour Willy chez qui le désir de se surpasser équivaut maintenant à écraser son mari. La jeune femme, terriblement jalouse de ce partenaire si doué, quelle considère à présent comme un adversaire à dominer, laisse cette rancur éclabousser la sphère privée.
Tandis qu'Éric exploite son talent, accomplit des progrès considérables et comprend quil va gagner le défi quil sest lancé, Willy se blesse gravement lors dune compétition. Les rêves senvolent alors, laissant la rage puis la frustration lemporter et le partenariat des débuts se métamorphose de façon irréversible en rivalité mortifère.
Cest, bien sûr, lorgueil démesuré de Willy qui constitue la faille tragique de ce roman singulier et entraîne les personnages à la catastrophe. En effet, face à la volonté affichée par sa femme de saccager leur relation, Éric, victime expiatoire, semble totalement impuissant malgré ses sentiments et son sens du sacrifice. Jusquà quel point va-t-il accepter de subir une situation gangrénée ?
Certes, lambition, le nombrilisme exacerbé et la volonté de puissance rendent le personnage féminin particulièrement antipathique mais Lionel Shriver pose habilement la question. Est-il contre-nature pour une femme de préférer lépanouissement professionnel à lextase sentimentale puis de tout sacrifier lorsque lon échoue ? Se poserait-on par ailleurs la même question sil sagissait dun homme ?
Au terme du poignant jeu décisif qui clôt ce match matrimonial et cet excellent roman, aucun gagnant ne se dégage. Lionel Shriver, elle, se retire et laisse au lecteur le choix dapprécier qui a le plus perdu.
Florence Cottin ( Mis en ligne le 08/12/2010 ) Imprimer
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