| Thomas Hairmont Le Coprophile P.O.L 2011 / 18 € - 117.9 ffr. / 252 pages ISBN : 978-2-8180-0640-5 FORMAT : 14,1cm x 20,8cm Imprimer
Les nympholeptes se retrouvent dans Lolita et ceux qui visent encore plus bas sur léchelle dâge, dans Rose bonbon. Les pétomanes inavoués se délectent du délire gainsbarrien dEvgueni Sokolov. Gabrielle Wittkop a quant à elle, en 1972, ravi les amateurs de chairs faisandées ou putréfiées. En somme, il se trouve toujours bien une uvre pour combler la case manquante du tableau de cette grande psychopathia sexualis que compose la littérature. Toujours ? Voire
Ainsi, que lisaient les amateurs de fèces (oui, nous écrivons bien de «fèces») jusquà aujourdhui ? Quelques pages choisies des Cent vingt journées de Sodome, mettant en scène certain abbé ventousard et glouton ; des pets de nonnes sur papier bible, en somme, et désormais si peu subversifs quils se voient intégrés au programme des Facultés de lettres, bientôt au Bac, qui sait ?
Et puis, enfin, Thomas Hairmont vint
Quand on cherche sa bobine sur Internet, on tombe rapidement sur des photos ou des vidéos dun jeune homme, même pas la trentaine, avec un peu de poil au menton, des lunettes sagement posées sur le nez, bien propre sur lui. Il a en somme le profil dun brave gars qui aurait fait, comme tout le monde, un Erasmus à Barcelone et suivi des études, disons en gestion ou en sciences. Comme quoi il ne faut jamais se fier au physique. Car ce Janus là, avec ses airs de premier de la classe et de gendre idéal, vient de commettre le roman le plus décapant de cette année 2011, et la décennie va avoir du mal à sen remettre à moins bien sûr que la bactérie e-coli, qui en est actuellement à tourner des bouts dessai, lui vole la vedette...
Cela sintitule, en toute sobriété et très explicitement, Le Coprophile. Pas question de girovaguer autour du pot avec des Confessions dun mangeur de boudin noir ou de subtiles parenthèse deriddiennes genre Les An(n)ales
Non : Le Coprophile.
Vu la maison dédition, le récit doit être très construit, à la limite de la sophistication, et un rien hermétique ; le style sans doute léché, un peu froid mais de haute lice. Même dans Le Coprophile. Cela ne peut pas être plus tordu que du Valère Novarina ni plus attentatoire que du Prigent. Allez, on achète. On rentre, on sassied, on sinstalle, on ouvre. Pas dautre mention duvres à lactif de ce Thomas Hairmont. Mince, un premier roman. Quitte ou double
Et bien, «cest de la double !», comme sexclamait la bignole de Mort à crédit en prise avec les gogues bouchés. Mais de quelle qualité, de quelle tenue.
Dès quen art lon touche au domaine de lexcrémentiel, on atteint vite le domaine de cet éloquent non-dit, le scandale. Ici, cest pire, puisque nous sommes dans un roman limite. A quoi reconnaît-on ce genre ? Premièrement, à son jusquauboutisme parfaitement assumé : lhistoire de cet étudiant en mathématiques qui se découvre une passion dévorante et dévoratrice pour la merde la sienne, celle dune femme puis de tous les autres est aberrante et néanmoins elle senchaîne dans une implacable logique de progression, débordant rapidement du terrain du fantasme sur celui dune concrétisation, dun passage à lacte, qui sont crédibles. Deuxièmement, au fait que sa lecture fait naître une sensation physique : en effet, passée la page 93, il vous semble ressentir dans la gorge, entre pharynx et luette, la présence dune protubérance gênante, dun chatouillement qui ne vous quitte plus et qui peut à tout instant se transformer en nausée, en authentique réflexe vomitif.
Pourtant, on reste collé à ce texte, à cette syntaxe limpide, ciselée, filant droit et ne redoutant pas les longues périodes, aussi précise que variée en son lexique. Le tour de force nest pas que narratif, il est aussi dans le registre adopté. Car si lon vous avait dit quun jour paraîtrait un récit entièrement consacré à un thuriféraire du caca mais qui ne contiendrait pas une once de vulgarité, lauriez-vous jamais cru ? Lauteur se prénomme Thomas, touchez la plaie quil ouvre sous vos yeux et croyez maintenant.
Lexercice est bien sûr éminemment ironique. On y discerne en creux une cruelle mise en scène de lindécence de notre époque, une charge qui surclasse toutes les dénonciations du système émises par les penseurs autorisés, les rebelles subventionnés et les chansonniers gentillets (ce sont parfois les mêmes). Le cycle qui relie souterrainement la richesse la plus arrogante à lextrême misère sautoalimente ici en un potlatch infini, les bouches se connectent aux anus et gobent, gobent à sen faire exploser, sans discernement, des matières mille fois régurgitées. Il y aurait maints enseignements à tirer des apocalypses en cascade de ce «roman», mais le plus tragique de tous est sans doute quà notre époque, une telle parabole na même presque plus valeur de métaphore ; elle décalque lodieuse réalité de nos rapports, de nos sidérations et de nos réplétions.
Dire quun grand écrivain est né est peut-être prématuré, car quand on commence si fort dans la carrière, il faut avoir une sacrée dose de génie pour se maintenir à niveau. Seul lavenir le dira. Le présent peut en tout cas proclamer que Thomas Hairmont est lauteur dun très grand livre.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 20/06/2011 ) Imprimer | | |