| Hiromi Kawakami Le Temps qui va, le temps qui vient Philippe Picquier 2011 / 19 € - 124.45 ffr. / 276 pages ISBN : 978-2-8097-0211-8 FORMAT : 13,2cm x 20,4cm
Traduction dÉlisabeth Suetsugu Imprimer
Hiromi Kawakami, un des auteurs les plus populaires de la littérature japonaise, nous livre dans Le Temps qui va, le temps qui vient, un texte qui sapparente plus au premier abord à un recueil de nouvelles quà un roman. Ce nest quà la fin du livre que le terme prend tout son sens, lorsque sa lecture à peine achevée le lecteur ressentira lenvie irrépressible de la reprendre du début : en effet, une fois identifiés les multiples personnages et leurs places dans lorganigramme compliqué du récit, la seconde lecture permet, alors quon en possède enfin la clé, de simprégner totalement de lunivers créé par Kawakami.
Car à première vue, rien ne paraît relier entre eux les nombreux protagonistes qui prennent tour à tour la parole ou plutôt la plume pour nous conter les petits riens de leurs vies quotidiennes, si ce nest le quartier dans lequel ils évoluent, quelques rues dune banlieue résidentielle de Tokyo, autour de la poissonnerie Uorahu, le troquet La Grappe, ou la gargote Roman. Le lecteur occidental, intrigué par cette incursion dans un quotidien quil connaît peu sauf à être un spécialiste du Japon, se fourvoierait cependant à ne voir dans ces descriptions quune simple étude sociologique : le lieu des différentes intrigues importe peu, et les personnages de ce roman choral pourraient habiter nimporte quelle partie du monde tant les histoires quils racontent font partie de cet infra-ordinaire cher à Perec : histoires de couples officiels ou non, de conflits de famille, de vieilles amitiés ou de voisinage, certainement rien de sensationnel ou de bouleversant ; à tel point quon se perd souvent dans un récit décousu où le personnage principal le temps dun chapitre se retrouve secondaire dans le reste du livre, voire disparaît définitivement de la narration
et de notre mémoire. Un peu comme dans la vie, lorsque ce qui nous a semblé essentiel un temps se retrouve devenu anecdotique ou dérisoire quelques années plus tard.
Parmi les figures récurrentes, on retiendra Heizô, le poissonnier, et Gen, son gestionnaire, liés par une tragédie évoquée à plusieurs reprises tout au long du roman, sans jamais devenir centrale pour autant. On ne saura deux rien de plus que ce que les autres personnages nous apprendront, par bribes, entre deux verres pris à La Grappe et un plat de boulettes de poisson vite avalé chez Roman. Tous les autres personnages, quils soient enfants, adultes ou vieillards, ont en commun de se poser beaucoup de questions et dagir finalement peu, pétris dincertitudes, pétrifiés par lindécision.
Par ce biais, Kawakami Hiromi porte un regard aussi mélancolique quétonné sur le mystère de la vie, forcément à la fois insignifiante et précieuse, parce que donnée pour un temps et inéluctablement reprise, sans quon sache ce qui en restera. Cette façon dappréhender lexistence bannit toute dramatisation dans un récit où lémotion affleure peu ou seulement par petites touches, mais qui laisse toute sa place à la poésie. Comme dans cette réflexion de Tanigushi, lauxiliaire de vie (p.98): «Le serpent entre dans le trou, lhomme finit par mourir. Quant à moi, jour après jour, je continue à minterroger. Oui, je réfléchis mollement sur la vie, sur ma vie, sans impatience».
Natacha Milkoff ( Mis en ligne le 13/07/2011 ) Imprimer
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