| Haruki Murakami La Ballade de l'impossible Belfond 2011 / 20.50 € - 134.28 ffr. / 389 pages ISBN : 978-2-7144-5067-8 FORMAT : 14cm x 22,5cm
Traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle Imprimer
Watanabe aime Naoko, laquelle était amoureuse de Kizuki, qui sest suicidé, adolescent. Et la vie continue, dira-t-on ? Mais elle rattrape Watanabe dans un avion allemand, par le biais dune chanson, Norvegian Wood, qui ramène le narrateur et son lecteur à cette rencontre, à sa jeunesse, et à une histoire de sentiments compliqués, imbriqués
Car Watanabe, par la suite, a tenté de comprendre le geste de Kizuki, et surtout datteindre Naoko, perdue dans sa tête, traumatisée par la mort de son amour de jeunesse. Entre-temps, il y a la vie, les histoires de cur, les rencontres, les études de théâtre dans un Tokyo post soixante-huitard, la transition vers lâge adulte au temps de la révolution. Au hasard des rencontres (Midori, létudiante fantasque abandonnée par sa famille, Nagasawa, le dandy séducteur, le «fasciste», colocataire un peu plus ordonné que la moyenne des étudiants
), Watanabe construit peu à peu son personnage, grandit, «vieillit» à la manière de Zazie sortant du métro.
Haruki Murakami trace, cisèle même, le portrait dun jeune homme qui a du mal à exister dans la société, qui sen retirerait presque, au moins mentalement. LEtranger, non plus sur le rivage dune plage algérienne, mais sur le flanc dune montagne japonaise. Une dérive, ou un érémitisme moral, qui va de pair avec celui de Naoko, qui sest finalement retirée du monde et vit dans la montagne, dans un asile un peu particulier, autogéré. De tous ces isolements, il sort une histoire, et une vérité.
Il y a deux Murakami : l'un contemplatif, adepte de la lenteur, de lobservation pointilleuse, du détail impressionniste, et l'autre, fantaisiste, déclinaison nippone du réalisme magique à la Vargas Llosa, qui observe lirruption, dans le quotidien, du fantastique. La Ballade de limpossible appartient clairement au premier : le narrateur, Watanabe, se place presque hors de lhistoire, à côté du lecteur, pour observer les personnages de louvrage. Que ce soit le couple brisé de Naoko et de Kizuki, que ce soit Midori, létrange étudiante ou Nagasawa, lapprenti gentleman, le narrateur les contemple de loin, comme anesthésié, un état que rien, pas même les sentiments quil éprouve pour les uns et les autres, ne semble modifier. Un regard distancié, avec, en musique de fond, les Beatles.
Lexercice est, pour le lecteur, troublant : au fil de la lecture et des rencontres, la réalité se fait plus floue et très habilement Murakami nous conduit dans sa propre «montagne magique», à lEst de Kobe, dans un endroit dont létrangeté gagne tout louvrage. Cest le charme du style de Murakami, qui alterne récit et réflexion, avec une fascination toute particulière pour le détail qui touche et mouche. On retrouve dans ce roman qui est réédité aujourdhui pour la sortie du film de Tran Anh Hung la finesse et le détachement des grands textes de Murakami, limpression dêtre comme invité dans la vie des personnages, associé à leur récit, non pas pris à partie, ni même sollicité, mais simplement emmené.
Une lecture fascinante, pour les amateurs de grâce, de lenteur et dintrospection.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 20/07/2011 ) Imprimer
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