|
Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Emmanuel François Cheyenn Seuil - Cadre rouge 2011 / 14 € - 91.7 ffr. / 128 pages ISBN : 978-2-02-103926-9 FORMAT : 13cm x 18,5cm Imprimer
Le narrateur de Cheyenn est un documentariste qui cherche à saisir avec sa caméra les zones délaissées de nos villes et les aspects peu reluisants de nos sociétés. Lors dun précédent film consacré aux sans-abri, son objectif a capté fugitivement une grande silhouette mystérieuse : celle dun homme qui se faisait appeler Cheyenn, à cause de sa volonté folle de passer pour un Indien dAmérique. Quelque temps après ce tournage, le corps de cet homme est retrouvé assassiné, au fond dune usine désaffectée. Le narrateur prend alors conscience quil a manqué quelque chose en ne suivant pas davantage cet étrange personnage ; il décide de reprendre la caméra pour consacrer un film à Cheyenn et se met en quête des fragiles traces que celui-ci a pu laisser.
Le roman est le récit de cette quête. Comment parler de quelquun qui a disparu ? Comment faire le portrait dune personne qui sest retirée de la communauté des hommes, et qui na laissé derrière elle que quelques affaires dans un vieux baluchon ? Le film-enquête entrepris représente finalement une sorte de défi permanent : il sagit de collecter des traces, de filmer linvisible : un personnage qui, nexistant déjà quà peine aux yeux des autres auparavant, est aujourdhui définitivement inaccessible. Sous la férule dun producteur qui ne comprend pas la démarche profonde du projet, le narrateur tente dentrer en contact avec ceux qui pourraient lui livrer un témoignage sur la vie de Cheyenn : un compagnon dinfortune bavard mais envahissant, sa sur qui lavait perdu de vue, le juge chargé de lenquête sur lassassinat, mais aussi une femme Mauda qui la aimé par le passé, avant quil ne sombre dans la folie, ainsi quun groupe de Skins suspectés dêtre les auteurs du forfait.
Le roman de François Emmanuel, que le public a commencé à connaître avec son étonnante Question humaine, adaptée au cinéma par Nicolas Klotz, sinscrit pleinement dans des problématiques propres à la littérature contemporaine : sur le modèle devenu récurrent des «vies minuscules» (évoquer des figures de peu, laisser une trace écrite ou filmée pour ceux qui sont a priori condamnés à loubli), il sagit dinterroger le réel qui nous entoure, mais également les moyens que lon peut mettre en uvre pour y accéder. En choisissant de faire de son narrateur un cinéaste, lécrivain met en place une figure qui reflète sa propre position : ses doutes, ses aspirations, ses apories.
De fait, Cheyenn est un livre très tenu, dune grande sobriété. Doù vient alors la déception relative ressentie à la lecture ? Dune part, on a limpression que François Emmanuel fait montre dune certaine application dans les attendus réflexifs du genre : la question de linvisible et de linfigurable, lécran noir préféré à limage fausse ou putassière, léthique du regard, etc. Ce ne sont pas ces questionnements en eux-mêmes qui gênent (ils se posent avec acuité !), mais davantage la rigidité avec laquelle ils sont abordés. Dautre part, on regrette certaines des bifurcations du récit : le personnage de Mauda vient lalourdir avec une dimension sentimentale dont lintérêt échappe (notamment quand le narrateur se rapproche lui-même de cette femme). Cela est dautant plus dommage que, dans les dernières pages, le texte prenait véritablement son envol et semblait trouver son sujet dans les descriptions de ces non-lieux où errent les sans-abri et les marginaux : terrains vagues, usines à labandon, rues sans nom, berges désolées, que le documentariste se met à arpenter et filmer. Le personnage de Cheyenn apparaissait davantage, en creux, dans ces quelques belles pages scrutant de loin les zones sans nom de nos villes, que dans le discours de Mauda ou dans celui des autres personnages qui lavaient fréquenté.
À la lecture de Cheyenn, on pense à Dora Bruder de Patrick Modiano, pour la recherche généalogique dêtres sans traces, comme à Un fait divers de François Bon, pour le questionnement réflexif sur les capacités de représentation de la littérature ou du cinéma. Mais, contrairement à ces deux textes, le roman de François Emmanuel déçoit par son manque dintensité et laspect quelque peu compassé de sa langue. Après que lon a refermé le livre, le personnage de Cheyenn sestompe presque aussitôt, alors quil aurait dû nous hanter durablement, quand bien même son silence et son mystère fussent demeurés entiers.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 19/09/2011 ) Imprimer | | |
|
|
|
|