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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Richard Millet La Fiancée libanaise Gallimard - Blanche 2011 / 20 € - 131 ffr. / 353 pages ISBN : 978-2-07-013404-5 FORMAT : 14,2cm x 20,4cm Imprimer
On ne peut que comprendre lagacement suscité par les récentes publications de Richard Millet. Ce dernier est parvenu au fil de ses ouvrages à se créer un personnage littéraire antipathique, sautoproclamant dernier grand écrivain de langue française opposé à la décadence dun Occident déchristianisé. Richard Millet ne cesse de provoquer le public par ses considérations politiques difficilement cautionnables (la plus délicate étant certainement son magnifique récit de la guerre du Liban, La Confession négative). Il agace lorsquil se définit comme un artiste provincial et solitaire rejeté par les mondanités parisiennes, un autoportrait difficilement conciliable avec son travail déditeur chez Gallimard. (Mal)heureusement, Richard Millet échappe presque toujours au ridicule grâce à un style admirable.
Dans La Fiancée libanaise, Richard Millet se livre une nouvelle fois au jeu de lautofiction, en reprenant lidentité de Pascal Bugeaud, déjà aperçu notamment dans Ma Vie parmi les ombres. Il se rend une nouvelle fois dans son village natal du Limousin, Siom, pour y rencontrer une jeune étudiante libanaise qui étudie la place des femmes dans lensemble de son uvre. Lécrivain feint tout dabord dêtre effrayé à lidée de se livrer à cette inconnue, puis retient létudiante des nuits entières à lui raconter les moindres détails de sa vie sentimentale. On retrouve dans ces récits les obsessions des précédents ouvrages pour les femmes, le catholicisme et la langue française, ainsi que les descriptions de son enfance limousine ; cependant, loriginalité du procédé narratif (lécrivain racontant sa vie à létudiante) permet ici de voyager à travers les pays (France, Suède ou Liban) et les époques, proposant ainsi une réflexion sur le temps et les fluctuations de la mémoire affective.
Son rapport aux femmes et au désir quelles parviennent à susciter (thème majeur de LAmour mendiant) est une nouvelle fois décrit dans toute sa puissance et sa médiocrité ; le narrateur est un obsédé sexuel (sauf quà la différence de la majorité des lecteurs, il parvient très souvent à ses fins, en partie grâce à sa notoriété littéraire), hanté depuis son enfance et le départ de sa mère par labandon de la moindre femme conquise. On comprend ainsi assez vite quune histoire ne tardera pas à se nouer entre lécrivain et létudiante, bien que cette dernière ne lui semble pas très séduisante au premier abord. Le désir sexuel est pour Millet une damnation dont les hommes ne peuvent se défaire.
Lécrivain semble avoir pris conscience de laspect répétitif de ses considérations conservatrices sur les femmes ou sur la société, et il anticipe la critique de ce ressassement pour en faire un atout stylistique : «ma sur (
) me rappelait que mon obsession de la pureté en toutes choses, notamment en matière de langue, nexcluait pas le goût des jolies femmes ni que je sois, en effet, un homme à femmes, cest-à-dire un homme qui se laisse faire par les femmes, un homme facile, en quelque sorte, Françoise suggérant en outre que je commençais à radoter, oui, à radoter, sans me laisser ajouter que le ressassement est une source du rythme et de lécriture».
Les répétitions de La Fiancée libanaise sapparentent ainsi à des litanies auxquelles certains lecteurs seront sensibles, rappelant le charme des propos sans fin dun grand-père sénile pestant contre la modernité, mais la posture de Richard Millet provoque un léger malaise, ses justifications participant dune distance et dun second degré propres justement à la modernité quil fustige. Lécrivain sabstient cependant de verser dans le cynisme avec des textes le plus souvent dénués dhumour, et le recul dont il fait preuve nen fait pas pour autant un auteur léger. Il préfère demeurer un écrivain à la rhétorique pesante, attaché à une vocation littéraire : «on échoue toujours à être ce quon est, pensais-je, à Stockholm, et lécriture nest sans doute quune manière de maintenir vivant cet échec, de lentretenir sans illusions, de le transformer en quelque chose de fécond, jusquau moment où sa puissance daveuglement ne suffit plus et où la vie réclame son poids de vérité sous forme de sacrifice : je navais pas denfants ni dépouse auxquels me résigner ; je ne pouvais que sacrifier ce que les autres appellent mon art, à tout le moins les sortilèges qui sy attachent et la rhétorique dont je suis devenu prisonnier».
La Fiancée libanaise sapparente ainsi à une réflexion sur le pouvoir de la littérature que Richard Millet illustre admirablement en démontrant ses deux principales vertus, à savoir sublimer une existence médiocre en une matière artistique, et coucher avec des femmes.
Antoine Robineau ( Mis en ligne le 02/11/2011 ) Imprimer
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