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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Alain Fleischer Sous la dictée des choses Seuil - La librairie du XXIe siècle 2011 / 22 € - 144.1 ffr. / 472 pages ISBN : 978-2-02-102061-8 FORMAT : 14cm x 22,5cm Imprimer
La cuvée 2011 du très prolifique Alain Fleischer est un recueil de textes qui tente de cerner notre rapport aux objets. Il faut dabord entendre ce terme dans son sens premier et concret : il désigne ces assemblages artefactuels de matière qui nous entourent en permanence pour nous aider et nous servir, mais aussi pour nous accompagner, nous réjouir et, parfois, nous ravir. Le sujet est inépuisable et, pourtant, la littérature ne la que peu abordé en tant que tel. La technophilie et la «collectionnite» qui affectent depuis toujours Alain Fleischer devaient logiquement conduire ce dernier à écrire sur les objets plus exactement à écrire «sous leur dictée», tant leur emprise est forte, bien que cela reste le plus souvent inconscient. Si «les choses» ont toujours eu une place de choix dans son uvre, elles nont jamais eu droit à une telle mise à lhonneur (des textes comme Caméras ou 599 sur les voitures Ferrari sont très courts et restent plus à la marge de son uvre littéraire).
Sous la dictée des choses apparaît dabord comme un pur produit fleischérien, thématiquement comme formellement, comme si lauteur avait conçu ce livre comme une «re-collection» de ses titres précédents. On retrouve cette écriture sinueuse et psalmodique, friande de répétitions et cherchant à épuiser la part du réel quelle a pris pour cible. On observe également, à nouveau, ses personnages récurrents (jeunes filles désirables et désirées entraînant à leur suite cet érotisme viriliste à la fois désuet et agaçant, vieillards mystérieux et initiateurs
), les facettes de prédilection de son imaginaire (la Hongrie, le conte de fée, les langues étrangères), ses hantises historiques, etc.
Formellement, on note que Sous la dictée des choses possède une structure «interfacielle» (le mot est de luniversitaire Jean-Bernard Vray) chère à lauteur : la fiction y côtoie lessai et lautobiographie. Après trois cent pages consacrées aux nouvelles, le livre se transforme en effet en une méditation sur lacte de collectionner et dresse les portraits de quelques figures de collectionneurs célèbres le dernier étant celui de lauteur lui-même. Les fictions éclairent lessai final tout comme lessai gagne en ampleur grâce aux fictions qui lont précédé. Ces «paradoxes du collectionneur» témoignent à nouveau de laisance réflexive de Fleischer. On pourra toutefois sétonner que les rapports entre collection et littérature ne soient que peu abordés, si ce nest par le biais de la «collection de textes». On aurait aimé entendre lécrivain sur les collections de Des Eisseintes dans À Rebours de Huysmans ou, plus près de nous et sans doute plus cher au cur de Fleischer, sur Le Cabinet damateur et Penser/Classer de Georges Perec.
Nos réserves portent davantage sur lensemble impressionnant de fictions qui constitue la majeure partie de louvrage. Bien que cela soit lun des reproches récurrents que lon puisse faire à un recueil de nouvelles, force est de constater que les textes de Sous la dictée des choses présentent des intérêts variables et inégaux. Plusieurs nouvelles souvent les plus courtes frisent presque le hors-sujet, tant la question de lobjet peine à sy incarner. On aura beau jeu délargir le sens de «chose» à des sentiments, des passions ou des attitudes (les «choses de lamour» par exemple), il nen reste pas moins que lensemble y perd en unité. Dautres part, on relève parfois des tentatives de textes farcesques qui laissent quelque peu songeur : Fleischer nest pas très à laise dans le maniement de lhumour (on pense entre autres aux nouvelles «Plan de table», «Amuse-gueule et agace-pissette» ou «Égalité, match nul»). Sans doute lauteur a-t-il été victime dun des travers du collectionneur, celui consistant à accumuler les objets au-delà du raisonnable et de la valeur intrinsèque des pièces. Si cela est compréhensible dans le cas dune véritable collection dobjets, on ladmet moins pour ce qui est dun recueil littéraire !
Néanmoins, ces quelques pièces décevantes ne doivent pas faire oublier plusieurs nouvelles remarquables, dans lesquelles on retrouve les grandes obsessions fleischériennes : le double, la mémoire, les jeux de reflets et de projection, le tremblement fantastique du réel, etc. On retiendra la très mystérieuse «Machine», qui conjugue érotisme, mécanique et réflexion sur les rapports mots/images, la rêverie nominaliste «Qui es-tu ?», mais aussi «Écrivain du dimanche et photographe amateur», véritable concentré fleischérien, dans lequel les jeux photographiques permettent de scruter un passé qui vient surimpressionner notre présent.
Il nen demeure pas moins que le «désir de la série» (p.468) qui sous-tend lensemble de Sous la dictée des choses, dans son esprit, dans son projet comme dans sa réalisation, marque une étape logique au sein dune uvre marquée par laccumulation, la reprise et lobsession de la trace. Dun point de vue métaréflexif, on pourrait même se demander si la boulimie décriture qui saisit Alain Fleischer depuis vingt-cinq ans ne relève pas, en elle-même, dune forme de collection textuelle compulsive : épuiser le monde par lécriture comme le collectionneur cherche à épuiser une famille dobjets.
À ce titre, si le recueil simpose moins directement comme une uvre majeure (à la différence de Moi, Sàndor F. par exemple), il se donne toutefois comme une sorte de florilège de lart de Fleischer, une sorte dauto-remémoration littéraire et de bilan décriture, avec ses pièces ternes et ses pièces éclatantes. Mais, à nouveau, cette disparité et cette variabilité ne sont-elles pas le propre de toute collection ?
Fabien Gris ( Mis en ligne le 14/11/2011 ) Imprimer
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