| Rachel Cusk Contrecoup
L'Olivier 2013 / 19,50 € - 127.73 ffr. / 175 pages
ISBN : 978-2-8236-0047-6
FORMAT : 14,0 cm × 20,6 cm
Céline Leroy (Traducteur)
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«Mon mari et moi nous sommes séparés il y a peu, et en quelques semaines, la vie que nous avions construite a été brisée, tel un puzzle réduit à un tas de pièces aux formes irrégulières». Ainsi commence l’ouvrage de Rachel Cusk qui, par cette simple phrase, résume ce livre réussi autant qu’éprouvant. Est-ce une autofiction ou la simple écriture cathartique d’un drame intime ? Qu’importe… La narratrice s’emploie donc à reconstituer un autre puzzle, à ré-assembler, dans la douleur, des pièces disparates, et à reconstituer une vie après le divorce et le départ de l’autre.
Vu de l’extérieur, le divorce est un tracas administratif, un déchirement intime, parfois l’aveu d’un échec… Il est une étape en tous les cas que l’on est censé dépasser pour «aller mieux». Rachel Cusk se penche donc sur cette étape, et plus que se pencher, elle s’y noie : le départ de l’homme plus trop aimé est une chose, sa haine est plus difficile à soutenir, les raisons – conjointes – de son départ sont autant de gouttes qui tombent, à la manière du supplice de l’eau, sur le front tourmenté de l’auteur. Le quotidien s’étire, en nuits blanches et garde partagée, en solitude et manque d’appétit. Et puis il y a le reste, le monde, la famille à commencer par les filles, qui assistent et vivent cela, et s’accrochent à la moindre normalité, les parents et grands-parents, images d’un bonheur conjugal (ou supposé tel) érigé en modèle et désormais inaccessible, les amis et les amies, ceux qui savent quoi dire et faire et ceux qui ne savent pas. L’auteur erre dans sa maison comme dans sa vie, introspective. Usant des tragédies grecques comme d‘un motif de réflexion, elle relit ses émotions à la lumière d’Œdipe ou d’Antigone, s’interroge sur Créon et ses exigences. Un détour inattendu.
Écrit d’une plume très fine, quasi clinique, ce texte – mi roman, mi essai – frappe déjà par la densité du regard et la subtilité des analyses. Il ne s’agit pas du divorce brossé grossièrement et de l’extérieur, mais au contraire d’une femme qui parcourt ses états d’âmes, s’accroche aux morceaux du puzzle, et se débat pour créer une nouvelle vie. Le lecteur assiste à chaque petite étape, les souvenirs d’avant égrenés comme un chapelet, les conversations entre copines, les fêtes de famille, la sollicitude des voisins, les lâchetés des uns et des autres.
Oserait-on dire que Rachel Cusk touche à l’universel en décrivant sa montée au calvaire de femme abandonnée ? Sans doute pas, chaque divorce est une histoire singulière ; mais dans sa description distanciée, lucide d’un passage à vide, elle donne à penser et à sentir, elle force le lecteur à exercer son empathie, et l’installe, doucement, dans sa vie. Il s’agit là d’un très beau livre, difficilement classable, mais qui atteint brillamment son objectif, celui de toute littérature : faire partager quelque-chose.
Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 19/04/2013 )
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