| Guillaume Dustan Œuvres I - Dans ma chambre - Je sors ce soir - Plus fort que moi P.O.L 2013 / 18 € - 117.9 ffr. / 351 pages ISBN : 978-2-8180-1466-0 FORMAT : 15,7 cm × 22,5 cm
Thomas Clerc (Préfacier) Imprimer
Guillaume Dustan navait pas quarante ans quand il est mort dans son appartement parisien en 2005, laissant derrière lui huit livres dont les éditions P.O.L rééditent les trois premiers dans ces uvres I (deux autres tomes sont dores et déjà annoncés). Ces trois premiers «romans» constituent une trilogie dite «autopornographique» par son auteur. Fils de bonne famille, homosexuel, magistrat le jour, jusquau boutiste la nuit, provocateur médiatique, Guillaume Dustan raconte sa sexualité quotidienne et débridée dans les années 80 et 90 dans son premier roman intitulé Dans ma chambre. Je sors ce soir, le deuxième, est le récit dune nuit dans une boîte de nuit parisienne tandis que le troisième, Plus fort que moi explore les voies du sadomasochisme.
En une quinzaine de chapitres, Dans ma chambre mêle des remarques, des récits de rencontres et des descriptions cliniques trash de pratiques sexuelles qui déstabiliseront, pour ne pas dire plus, le lecteur non averti. Le style adopté est plat et cru, ce qui renforce laspect clinique des nombreuses descriptions techniques des rapports sexuels. On pense parfois à Bret Easton Ellis dont Guillaume Dustan était un admirateur. De même, la simplicité des phrases, la pauvreté du lexique mélangeant anglicismes, oralité et vocabulaire à la mode en accentue la violence. Même si, au départ, la multiplication des descriptions et lenchaînement rapide des actions maintiennent lattention du lecteur, cela sémousse peu à peu faute dévolution. Une fois la première surprise passée, une vingtaine de pages lues, ce style cru devient morne, lensemble reste froid, minimal et répétitif. Il ne sagit plus que de contenu, un contenu certes explosif pour lépoque, mais qui relève plus dune curiosité ou dun singulier témoignage que dautre chose.
Je sors ce soir se cantonne au récit dune soirée dans une boîte de nuit parisienne, la Loco, en loccurrence. La description des danses, des danseurs, leurs habitudes, les manuvres dapproche et les rencontres de connaissances constituent le fil de ce «roman» (comme lindique la couverture). Lécriture est ici moins radicale, moins percutante ou agressive que dans louvrage précédent, les scènes brutales de sexe en sont absentes. Il sy trouve même de lhumour ou encore quelques monologues, quelques réflexions en contraste avec lécriture quasi behavioriste de Dans ma chambre. Lincipit résume dailleurs quelque peu lesprit de Je sors ce soir : «Il y a un certain plaisir à ne pas faire les choses dans les règles». Ne pas faire les choses dans les règles, est-ce, par exemple, à partir de la page 174, de mimer les effets dun acide ingurgité sous la forme de pages de plus en plus blanches jusquà leffacement complet pendant quinze pages ? Cela reprend ensuite peu à peu, avec quelques fulgurances poétiques parfois. Mais, hélas, cest aussi la fin du roman et l'on aurait aimé trouver plus souvent quelques passages dune étrange beauté, comme celui-ci : «Il est sublime de beauté, allongé sur un transat, et puis il se lève et il regarde par-dessus la barrière dans le jardin des voisins le ballon en plastique, ou peut-être que cest une bouée canard, flotter dans la piscine pour enfants vide».
Le titre du troisième roman de Guillaume Dustan, Plus fort que moi, est-il à prendre comme une antiphrase ? En effet, les pratiques sado-masochistes narrées dans ce qui est un recueil dexpériences une par chapitre sont tout à fait du goût du narrateur qui les surmonte, qui en jouit aisément, expériences-limites certes mais qui ne semblent pas plus fortes que lui. Cen est même un initiateur ou un esclave aguerri comme le long chapitre central le montre. A nouveau, lécriture est crue, les scènes sont violentes, plus violentes que dans Dans ma chambre, comme si Plus fort que moi en était le pendant extrême avec, entre les deux livres, la pause musicale de Je sors ce soir. Ce troisième roman semble dailleurs sous linfluence du précédent, il contient quelques beaux passages et même, parfois, un certain humour : «Il suçait abominablement mal. Avec les dents, à peine plus loin que le gland, bon daccord il y avait la cagoule, ce nétait pas très pratique, mais quand même. Les gens ne comprennent pas la valeur de leffort».
Au final, les trois premiers romans de Guillaume Dustan frappent surtout par la radicalité du style qui néanmoins sessouffle rapidement pour ne laisser place, au mieux, quà une curiosité des murs de certains homosexuels des années 80 et 90, aux pratiques sexuelles extrêmes. Il y a parfois des envolées, lécriture se fait plus souple, plus lyrique mais limpression densemble ressemble à lesprit de ces années : il sagit dune consommation insatiable et cynique ; en lisant les préfaces passionnantes (et les notes) de Thomas Clerc, on se demande sil sagit bien des mêmes livres que lon a lus...
Xavier Briend ( Mis en ligne le 17/07/2013 ) Imprimer | | |