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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Sinha Shumona Calcutta L'Olivier 2014 / 18 € - 117.9 ffr. / 205 pages ISBN : 978-2-8236-0039-1 FORMAT : 14,0 cm × 20,4 cm Imprimer
De retour à Calcutta au Bengale occidental pour la crémation de son père Shankhia, Trisha se retrouve seule dans sa grande maison natale. Les secrets de famille et les souvenirs réapparaissent.
Après Assommons les pauvres, doublement couronné, Shumona Sinha, qui vit à Paris depuis une dizaine dannées, nous propose un roman denfance et dexil : Calcutta interroge les méandres de la transmission et la puissance de la littérature.
La crémation est une cérémonie traumatisante dans le rituel hindou. «Non seulement mon père sera mort, mais on marrachera aussi lidée de mon père, limage de son corps intact, on marrachera lidée entière dune vie. Le prêtre du crématorium tuera encore mon père mort, effacera son corps, le volera, le pillera, le fera disparaître» (p.10). Dans la maison déserte, cest son enfance quelle revisite au fil des objets découverts, une vieille couette rouge dans laquelle son père avait caché un revolver, un flacon de parfum dhibiscus qui servait à alléger les migraines de sa mère, et un livre interdit, Guérilla modes demploi. La figure du père est bien centrale : en tant que militant marxiste et athée, il était farouchement opposé au parti du Congrès dIndira Gandhi qui exerçait une féroce répression en arrêtant et fusillant les communistes.
A ce moment-là, jusquà la chute du bloc soviétique, le parti marxiste bengali a des liens avec lURSS et sa littérature. Nous lisons toute la rudesse de lhistoire politique violente de lInde dans ces années-là. Shankhia échappe aux hommes de main du parti de droite. Puis il cache son revolver dans la couette et perd toutes ses illusions : «son parti censé rassembler les divers peuples et communautés de lInde sembla à Shankhia égoïste et illusoire, en péril. Il pensa quil était déjà trop tard pour réparer les dégâts, que même si lui et tous les militants formaient une chaîne humaine, cela ne suffirait pas à assécher les larmes» (p.137). Ainsi sont ravivées les tensions entre Hindous et Musulmans, attisées aussi par les feuilletons télévisés.
Cest le prétexte pour la narratrice de parler de limportance du père pour lenfant quelle était, héritant de lidéal paternel. La relation père-mère est plus improbable, en raison de la folie dUrmila qui souffre de périodes de mélancolie dues à un chagrin damour secret enfoui depuis sa jeunesse. Elle vit souvent en recluse, quand elle nenseigne pas la littérature dans un lycée.
Il ny a pas beaucoup de dialogues, les personnages sont solitaires. La seule qui parle longuement est la grand-mère paternelle, Annapurna, qui vit chez son fils et raconte à sa petite-fille des légendes familiales qui perpétuent la mémoire des aïeux et dans lesquelles apparaît larrière grand-mère de Trisha, Ashanti, courtisane de luxe comme létaient les veuves de Bénarés.
Les gestes traditionnels qui rythment le quotidien de la maison, les odeurs, les couleurs se mêlent à lintroduction de la modernité dans la société bengalie, aux revirements historiques et aux légendes hindouistes. Cest une manière de nous initier en douceur à lhistoire de ce pays, le Bengale occidental dont on entend parler rarement. Un roman nostalgique sur lenfance, la famille et la mémoire, soutenu par une prose colorée, odorante et poétique.
Eliane Mazerm ( Mis en ligne le 25/04/2014 ) Imprimer
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