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Une usine à livres
Philippe Muray   Postérité
Les Belles Lettres 2014 /  25 € - 163.75 ffr. / 547 pages
ISBN : 978-2-251-44498-7
FORMAT : 15,0 cm × 21,0 cm
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Les Belles lettres rééditent au fur et à mesure les romans de Philippe Muray. Si l'on connaît ce dernier pour ses articles et chroniques hilarants sur le monde postmoderne, on connaît moins son œuvre romanesque. L'ambition de l'auteur est d'envergure. Philippe Muray prend le roman au "sérieux" si l’on ose dire, ce qui n’exclut pas l’humour, bien au contraire. Il s'agit par l'intermédiaire d'une forme poétique de décrire le monde tel qu'il est, de lier cette forme à la connaissance méticuleuse du réel, aux choses concrètes.

Initialement paru en 1988 chez Grasset, Postérité est un roman dont l’intrigue se résume en ceci : Jean-Sébastien, le narrateur, est correcteur d'épreuves dans une maison d'édition, le BEST, dirigée par Bauquer. Enfin... maison d’édition est un bien grand mot. C’est plutôt une usine à livres, qui publie sur tous les sujets ou tous les thèmes : dossiers, pornographie, romans de bazar, policier, espionnage, spiritisme, biographies. En général, il y a des nègres à l’œuvre, Alek et Parneix. Philippe Muray, qui connaît bien ce milieu (il est aussi l’auteur d’une centaine de romans policiers sous pseudonyme), en décrit d’une façon drolatique toutes les arcanes.

À partir de ce canevas fort simple, l'auteur expose d'une certaine façon la mort du roman comme compréhension du monde, genre perverti par la pléthore de scribouillards romantiques, contemporains du règne de la transparence, de la perte de cette frontière séparant la sphère privée de la sphère publique. Le roman n’est plus l'exposé d'un destin, celui d’un homme ou d’une femme, servant à saisir le monde à travers un style particulier, mais l'expression d'une volonté de puissance par l’exhibition, la libération et l’expression. Ce que résume l’aphorisme de Ambrose Bierce dans son Dictionnaire du diable : «Émancipation : changement de tutelle de la tyrannie d’autrui en despotisme de soi-même». Une vérité que rappelle Philippe Muray lui-même dans ses Exorcismes spirituels : «Penser, c’est présenter la fracture».

Les maîtres de Philippe Muray étaient Balzac et Céline et, s’il estimait des philosophes comme Jean Baudrillard, c’était bien parce qu’ils avaient cette ambition de comprendre le monde dans lequel ils vivaient. Philippe Muray, armé de son verbe, de ses métaphores, de ses jeux de mots d’une drôlerie irrésistible, nous plonge au cours de ses 550 pages bien tassées dans les soubassements de la littérature contemporaine qui ne peut plus, de fait, être appelée littérature. Il écrit : ««L’histoire des hommes se reflète dans l’histoire des cloaques», disait Victor Hugo. Pas mal pour l’époque, mais aujourd’hui les cloaques sont très présentables, nickel, moquettes, high-tech, machines distributrices de café, ascenseurs, plantes vertes, agendas rendez-vous. Et l’histoire des hommes ne s’y reflète plus, elle vient s’y faire réécrire, authentifier par d’apocryphes employés. Tout est parfait, un monde parvenu au comble de sa fausseté et réécrit par de faux écrivains, n’est-ce pas la situation idéale pour commencer à dire un peu la vérité ?…» (p.160).

Cette époque où tout le monde veut être auteur et/ou devenir écrivain signe la mort du roman. Au lieu de situer son intrigue dans le milieu chic de la société littéraire, Muray en dévoile les soubassements, avec cette volonté d’explorer les besoins d’une telle prose dégoulinante de bons sentiments, permettant à leur «auteur» de s’inscrire dans une postérité de synthèse. De combler leur perte originelle, leur fracture d’être ce qu’ils sont, d’effacer leur ombre, tentative démiurgique impossible à combler et qui les entraînent dans les plus grands délires.

Philippe Muray fait donc feu de tout bois, ironise sur toutes ces ambitions narcissiques ; l’idée majeure est de mettre en parallèle ce déferlement de livres enfantés par des nègres avec le désir d’enfantement de leurs compagnes, symptôme d’un retour de la nature et du contrat social contre l’individualité. N’en disons pas plus au futur lecteur sur tous les développements hilarants que l’auteur donne à ce parallèle.

Seul bémol, ce roman, ample et ambitieux, contient peut-être moins de verve et de drôleries que les articles de Philippe Muray. L'intrigue parfois se perd au profit de commentaires trop explicatifs. Mais n’est-ce pas là la force d’une prose «baroque» ? Cela dit, le roman est féroce, non pas dans le sens d’une vague diatribe mais par la sorte de désillusion qu’il procurera dans la tête de ceux qui croient encore qu’une telle littérature est de la littérature. À ceux qui trouveront tout cela pessimiste et paranoïaque, une façon de psychiatriser la lucidité, il n’y a pas grand-chose à répondre sinon que Philippe Muray est un réel «humaniste» dans sa compréhension sans fard de l’humain, un humain avec son côté ombre. Répondre aussi que roman est bien mort, que sa fin a bien eu lieu. Et nous sommes au-delà de la fin...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 18/06/2014 )
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