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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Dan Franck La Société Grasset 2014 / 18 € - 117.9 ffr. / 233 pages ISBN : 978-2-246-80877-0 FORMAT : 13,0 cm × 20,5 cm Imprimer
Dans ce réquisitoire contre la société, on est tenté de dire du narrateur André Boffe, dit Off, «quel pauvre homme !» ; mais on constate quil na pas dautre solution ni perspective possible dans son monde. Lenfer est sur terre alors, quand votre vie bascule par malchance comment ne pas se laisser sombrer ?...
Divorcé et père de jumeaux quil ne voit plus, ancien scénariste à succès, ce quinquagénaire est contraint de dormir dans le réduit à vélos de son immeuble, dont il habitait lappartement le plus luxueux. Il y vit dans des conditions déplorables, clochardisé mais organisé. Quand il compare sa condition à la vie davant, dont les souvenirs le tenaillent et lobsèdent depuis deux ans, il se rend compte de sa destruction par labsence de sa famille, et cest le plus dur. Tout a basculé quand les commanditaires dun script voulaient un texte à leau de rose au détriment de la qualité littéraire. Il a été congédié, aussitôt devenu un ''has been'' dans le métier, et sest marginalisé petit à petit. Il ne correspond plus aux attentes du téléspectateur moyen. La qualité nest plus la finalité principale. Cest le début de la dégringolade.
Il est dans une solitude extrême, en marge du cercle social et il voudrait rejoindre le centre comme auparavant. Porteur de drames personnels, il vit aussi celui de cette société qui ne veut plus de lui, qui se ferme à lui. Il survit grâce à quelques droits dauteur sporadiques. Il est Off, celui qui parle sans être vu. Il nest plus personne, transparent, même ses anciennes connaissances nosent plus lui parler ; socialement, les marques de civilité ont disparu. Il a perdu tous ses repères, en se raccrochant à des détails comme une sortie au supermarché dont il abandonne le caddy plein de provisions quil ne peut pas payer. En parlant dun bistrot il dit : «Je fréquentais lendroit à lépoque de ma belle époque, lorsque jétais comme tout le monde, biens matériels compris ; quand je possédais encore les attributs dune grande personne, clefs (
) portefeuille, calepin, stylo» (p.59). Tout a disparu chez cet homme qui sinfantilise : les biens matériels et les sentiments humains.
Sa seule consolation est dêtre appelé par son nom dans ce café où il regarde vivre les autres. Il a des interrogations surréalistes mais existentielles pour lui : est-ce que la tasse de café sur la table est devant ou derrière lui ? Quelle est la place de chacun ? Le moment le plus pénible est la tombée du jour, larrivée de la nuit et du froid, le local à vélo est glacé.
Cest un poignant hommage aux oubliés, aux invisibles qui sont dans la rue ou ailleurs et qui nous renvoient à notre propre honte de ne pas les aider. Malgré les promesses de quelques beaux parleurs bien placés et importants, les pauvres restent sur le côté de la route sans plus de compassion que pour des animaux.
Le talent de Dan Franck réside dans son écriture fluide, intense, il arrive à nous faire sourire des mésaventures de Off, grâce à des rencontres improbables. Comment vivre sans rien ni personne ? Le temps na plus dimportance, lesprit déambule dans une aventure intérieure en quête désespérée dune main tendue. Mais après la lecture de ce roman, notre regard sera-t-il différent sur cette misère ?...
Eliane Mazerm ( Mis en ligne le 26/11/2014 ) Imprimer
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