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Anima, Animus, Alter, Ego | | | Laurent Herrou Le Bunker - Deuxième témoignage Jacques Flament Editions 2015 / 10 € - 65.5 ffr. / 88 pages ISBN : 978-2-36336-175-2 FORMAT : 13 cm × 20 cm
Lauteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française et professeur certifié en Lettres Modernes. Il enseigne actuellement les lettres et la philosophie en Allemagne, à lEcole Européenne de Karlsruhe. Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), il vient de publier Roman, journal, autofiction : Hervé Guibert en ses genres (Mon Petit Editeur, 2014). Il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org. Imprimer
Imaginez-vous le 21 juillet 2014. Vous êtes en compagnie de 216 autres personnes, à dix mètres sous la terre, assistant à la cérémonie dinauguration dun espace culturel souterrain en béton. Imaginez maintenant une déflagration, des gravats qui viennent obstruer toutes les issues. Vous ne savez pas ce qui sest passé, à lextérieur. Vous êtes enfermé dans 3000 m2 avec de quoi manger et boire pendant une année. Cest là, en résumé, la situation apocalyptique que Jacques Flament, directeur de la très sérieuse maison dédition qui porte son nom, a proposé à plusieurs de ses écrivains.
Après le témoignage de Thierry Radière, et avant ceux de Benoit Camus et Jacques Cauda, à paraître en mars et avril, Laurent Herrou, qui publie chez cet éditeur son quatrième livre, nous propose le sien. Au début, ils sont deux. Lun creuse, lautre le regarde. Il creuse pour sen sortir, et sen sortir, dans ces conditions, cest avoir un but. Il creuse pour donner du sens à la vie qui se déroule sous terre alors même que celui qui laccompagne, qui laime, qui lui lèche le doigt en sang, qui lui parle de son sexe, que tout le monde appelle «fillette» ou «fifille», nétait pas plus heureux, avant, dehors. Il creuse, et creuser est devenu sa raison dêtre. Il est artiste, comme tous les autres prisonniers, écrivain plus précisément. Alors, il lui faut du sens, en chercher, en créer, en donner à ce quil fait.
Ensuite, il sarrête. Il ne creuse plus. Alors que lautre sest endormi, il est allé avec un homme régler son compte à Bruno, le serveur qui regardait sa moitié de manière trop insistante. Il la tué. Violemment. Pourtant, «les intellos» présents dans le bunker «croyaient dur comme fer que la littérature et lart [les] sauveraient». Mais lart les sauve-t-il ? Peut-être les rend-il fous, schizophrènes, les amène-t-il à se dédoubler, à faire du «je» un autre, de lalter un ego ?
Laura, le personnage qui prend la parole parmi dautres dans la dernière partie du récit, renvoie dailleurs au titre du premier roman de lauteur (Balland, 2000). Laura, cétait le double féminin de lécrivain. Le livre lui est dédié. La boucle est bouclée ? Il y a des doubles dont on ne se départit jamais
A travers ce riche huis-clos polyphonique qui reste collé aux mains, Laurent Herrou interroge le statut de lécrivain, de son travail, de sa place dans la société, comme il lavait déjà fait différemment dans Je suis un écrivain (Publie.net, 2008). Il interroge aussi lidentité, explore les liens que lanima et lanimus aurait dit Jung tissent en chacun, observe les multiples visages qui habitent lesprit du créateur. Il parle de la condition homosexuelle, du désir, de la violence. Enfin, il questionne lécriture elle-même, sa force et sa faiblesse, sa nécessaire absurdité.
Lécrivain libère des mots, libère les autres, mais se sauve-t-il vraiment ? A creuser
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 23/02/2015 ) Imprimer
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