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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Régis Jauffret Bravo Seuil - Cadre rouge 2015 / 20 € - 131 ffr. / 277 pages ISBN : 978-2-02-121285-3 FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm Imprimer
La vieillesse est peut-être un naufrage selon lexpression mille fois rabâchée, mais chez Régis Jauffret, dune part elle commence tôt (60 ans) et dautre part elle est un chaudron dénergie. Seize nouvelles qui mettent en scène des vieux (plus ou moins : de 55 ans à cinq fois 25 ans) qui ont en commun de sentir la Camarde toute proche et en même temps de la tenir à distance, quitte à lui livrer jeunes femmes ou enfants sans défense. Seize nouvelles âpres, toutes cruelles, méchantes pour la plupart, à lexception de la première et de la dernière. Pour Régis Jauffret, la méchanceté des vieux est insondable, elle sest construite au fil des décennies, sest accumulée et ressort dans ces textes au vitriol, bien écrits mais profondément déprimants.
Âmes sensibles : fuyez ! Dans la nouvelle intitulée ''LAmour dune mère'', la narratrice règle ses comptes avec ses enfants dans un ultime monologue plein de haine recuite. Chez Jauffret, aucune illusion sur la nature humaine, lamour est le plus souvent utopie, les jeunes filles naiment pas les vieux avec qui elles couchent pour des raisons qui nappartiennent quà elles, et les vieux ny trouvent du reste aucun plaisir. Les relations humaines sont uniquement loccasion de dépouiller lautre, un vieux mari trafique les organes de sa jeune femme handicapée qui en meurt, une étudiante séduit un homme plus âgé pour mieux le vider de sa vie, sous lil intéressé de son père ; cest elle qui au bout du compte mourra
Dans ce jeu de massacre général, deux nouvelles échappent à la méchanceté, ''LInfini bocage'' et ''Vers la nuit'', qui disent lamour et la tendresse qui peuvent surnager au fond de ce noir désespoir, quotidien de la vieillesse. La dernière phrase de ''Vers la nuit'', qui est aussi la dernière du livre, prononcée par la narratrice qui vient de décrire le déclin de son mari vieilli : «Parce que je laime, jaime quil vive» Cependant, nest ce pas une manifestation d'égoïsme ?
Romancier semparant volontiers du réel, comme il lavait montré dans ses romans précédents - Sévère en 2010 sur le banquier Edouard Stern, Claustria, 2012, sur laffaire Elisabeth Fritzl, autrichienne séquestrée par son père, La Ballade de Rikers Island, en 2014, reprenant laffaire Strauss-Kahn -, Régis Jauffret consacre ici une nouvelle à Roman Polanski, ''Quand les pédophiles se pavanaient''. Cynique, le héros affirme : «Ce nest tout de même pas ma faute si jai toujours préféré les gamines à leur grand-mère». Vieillir, cest aussi voir ce que nous prenons naïvement pour une donnée éternelle changer ; sur la pédophilie, lauteur rappelle lindulgence - pour ne pas dire davantage - dont elle était entourée dans les années 1970 : «En 1973, on avait même accordé un grand prix de fin dannée à un roman sanctifiant lamour entre petits et grands. (
) Tout le monde a oublié aujourdhui cette morale désuète, semblant ignorer que la nôtre poursuivra son évolution, rendant un jour périmé et abject le consensus actuel que nous prenons pour une acmé».
Dans un court texte dintroduction, Régis Jauffret évoque le «Continent gris des petits vieux» : «Hommage aux êtres qui ont dépassé le cap de la soixantaine et habitent désormais ce continent gris peuplé dhumains dhier que dans ma jeunesse on appelait les petits vieux». Gris est une couleur chatoyante qui ne convient guère ici dans cet univers dun noir absolu, à la fois fascinant et repoussant, dans lequel les «petits vieux» sont grands de leur méchanceté aigrie et de leurs frustrations dont ils se vengent sans inhibition aucune.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 15/04/2015 ) Imprimer
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