| Ricardas Gavelis Vilnius poker Monsieur Toussaint Louverture 2015 / 24 € - 157.2 ffr. / 542 pages ISBN : 979-10-90724-17-4 FORMAT : 16,3 cm × 23,6 cm
Margarita Le Borgne (Traducteur) Imprimer
Ričardas Gavelis (1950-2002) est un auteur lituanien, professeur à lInstitut des sciences physiques de Vilnius, qui abandonna sa carrière scientifique pour se vouer à la littérature. Auteur de nouvelles, il écrivit six romans et des pièces de théâtre. Dans la Lituanie sous domination soviétique, son uvre se dresse contre toute censure, est un plaidoyer ardent pour la liberté sous toutes ses formes et dans tous les domaines, et décrit un univers absurde, dans lequel les héros sont précipités. Peu connu en France (Connaissez-vous bien la cible ?, in Europe, n°763-764, 1992), sa nouvelle ''Le manchot'' fut publiée dans Des âmes dans le brouillard : Anthologie de nouvelles lituaniennes contemporaines / textes choisis et présentés par Loreta Macianskaité (Presses universitaires de Caen, 2003). Les éditions Monsieur Toussaint Louverture publient cette année son roman essentiel, Vilnius Poker, fort bien traduit par Margarita Le Borgne. Comme toujours avec cette maison dédition, lobjet-livre est superbe, avec sa couverture énigmatique (Zeina Abirached) ornée de labyrinthes et de serpents, de silhouettes en uniformes, sans visages, noires et inquiétantes, il scrutateur, femmes nues et symétriques, tours anonymes.
Un univers étrange qui souvre sur le récit du narrateur principal, Vytautas Vargalys : «Une étroite trouée entre deux immeubles, petite brèche dans un mur incrusté de fenêtres aveugles : une étrange ouverture sur un autre monde». Rêve, cauchemar, réalité
Dans cet univers déroutant, Vytautas Vargalys se débat et entraîne son lecteur. Les frontières entre le réel et lonirique sont fragiles et souvent franchies. Un univers dominé par de mystérieux «Ils», au pouvoir immense et cruel dans cette «Vilnius verdâtre». Qui sont ces êtres sauvages : «Ils veulent détruire notre être : en commençant par la nuque, le front, le nez, les coudes, les poumons, le foie et en terminant par notre rire, notre mélancolie, notre rêverie et notre désespoir, nos habitudes immuables et nos rêves, notre âme et lâme de chaque créature vivante».
Le combat est inégal entre Vytautas Vargalys, employé de bibliothèque chargé de la recension des livres quIls ont interdit, et ces Ils tout puissants ; mais avant dy laisser la vie, Vytautas Vargalys se sera battu avec lénergie du désespoir, sans pouvoir enrayer cette descente aux enfers inéluctable. Il y laisse sa raison, ses souvenirs, sa vie mais peut-être pas son âme : «Soudain, jai la certitude que, en dépit de tout, Dieu existe dans les cieux. Il doit forcément y avoir une créature qui sait que je suis innocent». Mince victoire de lindividu sur le totalitarisme
Trois narrateurs prennent le relais : Martynas, «chroniqueur de lagonie de notre monde», auteur de «marmoires» («Jappelle ceci mes «marmoires» - un carambolage entre «Martynas» et «mémoires»») ; Stéfania, une fille du pays ; et Gediminas, un chien. Vytautas Vargalys ne disparaît donc pas tout à fait
Ričardas Gavelis a mis huit ans à rédiger ce roman-univers, foisonnant, qui joue sur plusieurs registres, évoque les tableaux de Jérôme Bosch, 1984 dOrwell, luvre de Kafka, liste non exhaustive
Lorsquil lachève en 1987, lempire soviétique se craquelle et trois ans plus tard la Lituanie obtient son indépendance. Un texte étonnant, âpre, souvent poétique. De la vraie littérature.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 25/09/2015 ) Imprimer | | |