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Deux villes, deux destins | | | Françoise Baqué Le Projet Almaz Editions Jacqueline Chambon 2015 / 21.80 € - 142.79 ffr. / 256 pages ISBN : 978-2-330-05333-8 FORMAT : 14,5 cm × 22,5 cm Imprimer
Le roman commence par une lettre. Celle de Basile à son frère Victor. De Abel à Caïn. Deux frères que tout semble séparer, et au premier lieu lamour plus fort que la mère portait sur lun plutôt que sur lautre. Règlement de compte ? Demande dexplication ? Regard nostalgique sur une enfance révolue ? Rien de tout cela : «soit dit en passant, je ne te fais ces confidences que parce que tu ne mécoutes pas. Diriger vers toi mon discours intérieur est un moyen de prendre les devants, un exercice destiné à atténuer pour moi le contraste entre nos deux vies (
)» (p.24). Basile se prépare au retour de Victor.
Cette prise de parole à la première personne, peu à peu, se transforme : elle devient, selon les circonstances, le discours dun autre personnage, un dialogue proche de la scène théâtrale, ou bien même un récit à la troisième personne, dans lequel le narrateur est omniscient. Cet effet choral est renforcé par la multiplication des chapitres (numérotés soigneusement de 1 à 50), dont les titres contiennent pour la plupart un nom de ville et une date, emportant sans cesse le lecteur danalepses en prolepses, dans un va-et-vient entre la France et la Russie.
Mais de ce morcellement naît un ordre. Dans cette polyphonie et ce foisonnement se dessine peu à peu lhistoire de deux destins qui se reconstituent au fil de la lecture. Lhistoire de deux jeunes voyageurs qui sont partis dans des sens opposés : Basile, bien que dorigine Russe, est resté à Paris, avec la magique Fée. «Insecte sauteur» qui a réussi à contourner avec humour son handicap, il bricole de vieux objets et les répare, luttant ainsi contre la déconstruction, la dévastation, qui lui paraissent pourtant inéluctables. Victor, reparti en URSS en 1958 avec leurs parents, participe à des expérimentations à Leningrad : il croit comme son père à lémergence possible dun homme nouveau, à une science qui permettrait à lêtre humain de ne pas se faire dépasser par les machines.
Ainsi racontés, les évènements «sagglutinent en certains points du temps». Passé et présent se rejoignent pour raconter lexil et le déracinement, lespoir et la désillusion, la vie et la mort. Le récit, auréolé de mystère, devient tour à tour conte, polar, roman danticipation. Parfois, à travers un bonhomme de neige ou un oiseau de paradis, une «lumière blanche» apparaît, ou même «une force» : la «densité précise des paysages de montagnes avant lorage». Mais souvent, lhumain semble menacé, le pessimisme règne, et lon ferme le roman en se demandant comme Basile dans les premières pages : «dans quel monde vivre ?».
Julie Malapert ( Mis en ligne le 02/11/2015 ) Imprimer | | |