| Maurice Mourier Par une forêt obscure Editions de l'Ogre 2016 / 20 € - 131 ffr. / 272 pages ISBN : 979-10-93606-32-3 FORMAT : 14,0 cm × 18,5 cm Imprimer
Le récit que nous livre Maurice Mourier est entièrement tourné vers le passé, à une époque où sécrit lHistoire, celle de la Seconde Guerre mondiale.
Le narrateur sadresse au petit garçon quil était alors pour dévider avec lui le fil de leur propre histoire, épaisse pelote de souvenirs bien serrés. Le temps a passé, des êtres aimés ne sont plus mais les réminiscences perdurent, intactes. La grand-mère y occupe une place importante, parce quelle a joué un rôle de mère, mais aussi du fait quelle a une personnalité toute particulière, forte et tendre à la fois, généreuse et sans a priori. Elle aide quiconque le lui demande : comme cet homme quelle appelle le cousin et qui vit discrètement au fond du jardin, où encore des parachutistes anglais quelle cache à loccupant, où enfin une jeune fille quon a pas laissée vivre son enfance jusquau bout.
Bien terrienne, les deux pieds campés dans le réel, elle a aussi le passé à fleur de peau et berce lenfant des chroniques familiales dont les racines sont en Franche-Comté mais qui ont poussé un temps vers lAlgérie. Cest là que cette fille dinstituteur républicain a grandi, quelle sest mariée, a eu ses enfants et enterré son mari. Puis la Première Guerre est passée par là et lui a enlevé son fils. Il fallait partir, séloigner de cette vie davant qui la rendait trop triste et offrir à sa fille un avenir. Elles sont rentrées en France. On découvre peu à peu cette histoire, et bien dautres, dans les bribes de mémoire que la grand-mère livre à son petit-fils, pour le faire homme, parce quelle pense sans doute, et à raison, que la transmission des bons et mauvais choix dautrui, de ceux qui les ont précédés et de ceux qui les entourent, lui permettra de mieux tracer son propre destin.
Lenfance du garçonnet, souvent rêveur et silencieux, est nourrie de cette chaotique histoire familiale, qui le guide. La vie nest-elle pas cette forêt obscure, où trouver le droit chemin tient de la gageure ? Ce titre, qui bien sûr nous rappelle Dante, est pleinement justifié, par les multiples lectures quoffrent ce récit mémoriel, certes, mais aussi, et peut-être avant tout, initiatique.
Pendant cette enfance-là, une nouvelle guerre saigne la France. Cest aussi la raison de cette vie particulière, un peu en retrait du monde. Le père de lauteur a trouvé un refuge à la campagne, il y a installé sa belle-mère auprès de son fils ; il sait quil peut compter sur elle. Ce père, le garçon ne le connaît quà peine, dabord parce quil est prisonnier en Allemagne, puis, quand il revient (abîmé sûrement), parce quil travaille pour un journal de la grande ville, qui emploie aussi la mère. Cest donc un personnage du roman qui nexiste que par son absence. Dailleurs lorsquun jour la mère demande à son fils : «Tu veux que je dise quoi à ton père ?», il ne répond rien. Que peut-on dire au silence ? Ce qui est certain, cest quen confiant son fils à sa belle-mère, dans ce cocon de verdure quil a acquis pour eux, le père offre à lenfant la meilleure protection qui soit en ce temps de violence. Car la guerre népargne rien et salit les esprits partout où elle passe.
Un être cependant apparaît tout immaculé, version magnifiée de lhumanité, cest la mère qui, dans son obligation dabsence, fait tout ce quelle peut, aussi souvent quelle le peut, pour être présente. Rarement a-t-on lu si beau portrait, à peine esquissé pourtant, et justement, dont la retenue du trait porte lémotion que lauteur ressent. Maurice Mourier lui rend vie telle quil se limaginait alors, et cest justement là que se situe, semble-t-il, le profond message de ce livre : le passé a mille voix, il est fait de nos souvenirs et des vôtres, des mémoires individuelles de chacun dentre nous et, croit-on intimement, il ny a pas plus grande vérité que celle dont on se souvient.
Rachel Lauthelier ( Mis en ligne le 27/05/2016 ) Imprimer
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