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Acné, psychiatrie et terrorisme | | | Frank Witzel Comment un adolescent maniaco-depressif inventa la Fraction armée rouge au cours de l'été 1969
Grasset 2018 / 29,90 € - 195.85 ffr. / 988 pages
ISBN : 978-2-246-86153-9
FORMAT : 15,3 cm × 23,5 cm
Olivier Mannoni (Traducteur)
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L'histoire allemande, celle des années 60 et 70, perçue par le regard d'un ado psychotique, qui mélange la grande réalité - l'histoire de sa nation - et sa réalité propre, faite d'amitiés, de petites aventures, de rencontres, etc. Dans une Allemagne où la violence politique d'extrême gauche émerge, en réponse à un passé nazi qui reste pesant, un garçon de 13 ans observe le monde et le retranscrit, sous diverses formes. Son quotidien à lui est sage, beaucoup de religion et de messe, du séminaire, quelques copains avec qui passer du temps... mais aussi des troubles, des problèmes mentaux et une difficulté manifeste à distinguer le réel. Au fil de la lecture et des expériences littéraires de l'auteur, le paysage psychotique s'organise, autour de l'actualité, martelée par la presse Springer et les diverses actions de la Fraction armée rouge
Le titre est, en soi, transgressif et mystérieux, donc attirant, et l'idée générale qui inspire l'ouvrage - traduire par l'écriture un trouble mental qui confond et mêle deux réalités - est audacieuse et inspirante... Alors comment se fait-il que ce roman, encensé par la critique et qui a reçu le Deutscher Buchpreis en 2015, soit si peu accessible, si désorientant ? Pour s'y attaquer, il faut déjà être sacrément armé en culture allemande, tant l'auteur a renoncé à expliciter les diverses références à l'histoire nationale de ces années-là. Il faut également apprécier une écriture expérimentale, à la fois riche, d'un style ample - le traducteur a d'ailleurs fait un travail remarquable - mais sans véritable cohérence. Chaque chapitre, écrit dans un style particulier et selon un thème précis (le monologue obsessionnel, l'interrogatoire, la conversation entre amis, le récit, le journal intime, l'article de presse, le compte rendu policier, etc.) éclaire une part de ce quotidien psychotique, que l'on cherche à cerner.
En fait, la lecture fait exploser le cadre formel du roman, du récit, et superpose au contraire les narrations, les moments. On en retire une impression d'écriture automatique, où les réflexions, les idées, les anecdotes, s'enchainent sans véritable lien (piochés au hasard des chapitres, des réflexions sur le ventriloquisme, un texte de séminariste, un autre d'un enfant qui développe sa propre cosmologie, etc.). Le résultat est une lecture complexe, sans fil directeur (ou très ténu), sans intrigue réelle, un patchwork d'impressions, un kaléidoscope d'histoires, de pensées et de moments, perçus selon divers angles et qui se répondent. Le lecteur est donc désorienté et l'effet de distance avec le réel s'efface : c'est sans doute la grande réussite de l'ouvrage, de nous replonger dans le chaos de l'époque, et d'une société qui a perdu ses repères et ne comprend plus sa jeunesse. Mais cela n'en fait pas une lecture aisée : le classicisme, en littérature, a son charme, même désuet.
Bref, un gros livre, aussi borderline que son titre, à réserver aux amateurs de roman expérimental, tentés par une expérience singulière, autour d'un épisode douloureux de l'histoire allemande.
Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 21/09/2018 )
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