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| Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Stéphanie Coste Le Passeur
Gallimard - Blanche 2021 / 12,50 € - 81.88 ffr. / 128 pages
ISBN : 978-2-07-290424-0
FORMAT : 14,0 cm × 20,6 cm
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L’auteure cite en exergue cette phrase terrible d'un récit d’Hemingway : «Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l’innocence». Le narrateur, Seyoum Ephrem, trente ans, a choisi d’être passeur de migrants à Zouara (Libye). Nous sommes en 2015. Seyoum a fait de l’espoir son fond de commerce, il achète de vieux rafiots qui ne supportent qu’une seule traversée, laissant les malheureux passagers seuls avec un GPS pour rejoindre l’île de Lampedusa en Italie ; il sait que les conditions sont désastreuse et qu’ils ont très peu de chances d’y arriver. Déjà, beaucoup d’entre eux sont morts pendant la traversée du Sahara. Le roman se déroule sur les deux journées qui précèdent l’ultime passage de la saison, sous une météo menaçante, le pot de vin à des garde-côtes menaçants une fois réglé.
Quelle a été la jeunesse de Seyoum et comment est-il devenu le passeur le plus cruel, le plus craint et le plus riche de la côte ? Il maltraite ses employés, méprise profondément les migrants qui sont pour lui des perdants, et avance comme un zombie, toujours dans un état second, l’alcool et le khat pour occulter tous les souvenirs et ne pas succomber à la moindre solidarité. Meurtri par la vie, il se venge sur le reste de l’humanité. Enfant heureux dans une famille chrétienne copte à Asmara, la capitale de l’Érythrée, ce fils d’un célèbre journaliste proche du pouvoir voit sa vie basculer dans l’horreur quand son père prend ses distances avec le président Issayas Afeworki. Ce dernier, héros de l’indépendance érythréenne, est devenu en 1993 ce sinistre dictateur qui sévit encore à la tête du pays. Toute la famille est alors déportée ou disparaît. Madhia, l’amour d’enfance de Seyoum, et sa famille, sont enlevées et torturées ; Seyoum est embrigadé au camp militaire de Sawa où il est victime de tous les sévices possibles. Ce camp est toujours en activité, pour "dresser" les jeunes.
Seyoum devient à son tour un bourreau en Libye, un marchand de mort, indifférent aux malheurs des autres. Lors de l’arrivée du dernier convoi de candidats pour l'Europe, il aperçoit Madhia, émaciée, un nourrisson dans les bras, avec son compagnon. Seyoum décide d’emmener le convoi sur la Méditerranée, conscient de ses maigres chances de succès. «La survie est le seul guide fiable. Je dois être insensible à la dizaine de mioches suspendus à leurs mères exsangues. Indifférent à l’imbrication de ces êtres fantomatiques, à Madhia dont le gosse a peut-être été déjà dévoré».
Ce court récit percutant illustre la vérité dite par tant de reportages sur l’arrivée des migrants en Italie, et leur grand dilemme : rester du mauvais côté pour toujours ou se lancer dans l’inconnu pour fuir une misère matérielle et psychique. Stéphanie Coste a vécu jusqu’à l’adolescence entre Djibouti et le Sénégal. Ce premier roman, vraie réussite qui prend le lecteur au ventre, remet en question la responsabilité de l’Europe qui privilégie le traitement sécuritaire à une approche humanitaire du drame. Ce roman engage à une réflexion sur les causes de l’exil et les effets de la politique migratoire des Etats occidentaux devant un continent à l'agonie.
Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 26/03/2021 )
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