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La vie en tube
Amélie Nothomb   Métaphysique des tubes
Albin Michel 2000 /  13.59 € - 89.01 ffr. / 171 pages
ISBN : 2-226-11668-0
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On s’intéresse généralement assez peu au tube ou au tuyau, ces éléments creux ne servant qu’au transit de fluides ou matières diverses. Pourtant, derrière l’inanité de ces objets se dissimule aussi pour celui qui sait regarder -tout est précisément, comme l’écriture, question de concentration et d’attention-, une position éthique sur l’existence. Pour ne pas dire un jugement philosophique. Ainsi, Amélie Nothomb -dont on sait combien elle est, au noble sens du terme, "regardante"- observe-t-elle dans son dernier roman la vie (divine, humaine, animale, végétale) au travers du prisme du tube : "Regarde donc. Regarde de tous tes yeux. La vie, c’est ce que tu vois : de la membrane, de la tripe, un trou sans fond qui exige d’être rempli. La vie est ce tuyau qui avale et qui reste vide".

Il se pourrait bien d’ailleurs que les différents règnes précités ne doivent pas être radicalement distingués et qu’ils puissent converger dans un seul et même être : en l’occurrence, une fillette apathique pendant ses deux premières années (ses parents ne l’appellent-ils pas "la plante" ? ), qui n’est autre que Dieu, qui n’est autre qu’un tuyau métaphysique… Dont acte : l’héroïne de ce roman est une petite fille belge (qui se prend pour Dieu en personne ou est Dieu incarné ? le doute demeure) vivant au Japon dans les années soixante-dix et qui s’émerveille de la culture, des jardins et des paysages nippons. "Ces derniers temps, se remémore la fillette, tu as eu l’impression glorieuse d’évoluer, de devenir de la matière pensante. Foutaise. Souviens-toi que tu es tube et que tube tu deviendras".

On a déjà trouvé plus simple comme point de départ (et d’arrivée) pour une trame narrative ; mais la facilité n’est guère le maître-mot d’Amélie Nothomb. Qui se régale plutôt dans son oeuvre de discours décalés sur la finitude de la conscience et la "nipponité" (faudrait-il dire : la "nipponitude" ?). Ce récit ne dépare pas à l’ensemble et s’inscrit bien dans la source intimiste et paradoxale qui alimentait déjà par le passé tant Hygiène de l’assassin que Stupeur et Tremblements. Or donc, notre petit fille, qui n’est jamais prénommée, découvre avec stupéfaction au fil des saisons la duplicité du langage, la rouerie des adultes, la magie de l’aspirateur et l’immense étendue de la déception face à la prolifération des désirs : il faut tout le talent de Nothomb pour décrire la déconvenue causée par un éléphant en peluche qui n’arrive pas à point nommé lors d’un anniversaire, car remplacé par d’odieuses carpes symbolisant la virilité au Japon -et donc le règne des garçons !

Heureusement, "Dieu" n’est pas susceptible et, maîtrisant très rapidement le langage, se plaît à s’entretenir (dans leur langue maternelle) avec les deux gouvernantes japonaises de la famille. L’angoisse de l’attente, la frustration consubstantielle du souvenir invalident peut-être tout carpe diem -que les poissons sont donc démoniaques !-, la noyade est certes à chaque fois le prix à payer pour celle qui se croit le Tube suprasensible lui-même… "Et toi, que te crois-tu être d’autre ? Tu es un tube sorti d’un tube". Mais rien ne vaut la douceur du Japon, son art de vivre et du cérémonial. Rien ne vaut la patience de ce père, consul ayant appris l’art du .

Comme toute digestion végétative, la Métaphysique des tubes commence fort mollement, a le goût des récits simples, peu rebondissants, à la limite de l’insipidité et de la fadeur gastronomique. Jusqu’à ce qu’il se transforme sous nos yeux en une clameur nostalgique. Fugacité pamphlétaire de la mémoire en appelant au suicide collectif d’Okinawa en1945 afin d’expliquer en quoi la purification, l’absolution par l’eau, est une donnée culturelle du Japon. C’est qu’il existe des tsunami de l’intérieur qui n’ont rien à envier aux réminiscences grecques ! Un auteur tel que Philippe Djian, influencé par le Tao, souligne depuis longtemps dans la littérature française l’importance et la noblesse hiératique de l’élément aqueux. Amélie Nothomb le rejoint ici en esquissant pour nous la difficulté aporétique de tous les commencements contenant déjà en eux-mêmes leur propre fin (au sens téléologique ou létal du mot).

"Si tu parviens à écrire les merveilles de ton paradis dans la matière de ton cerveau, tu transporteras dans ta tête sinon leur réalité miraculeuse, au moins leur puissance", se dit Dieu en catimini. Pari tenu !

Plus sérieux qu’il n’y paraît, moins frivole qu’on le croit d’emblée, ce roman qui s’apparente à un gigantesque travail du deuil à rebours se lit comme une gageure puis instaure entre soit et soi un dialogue -muet comme une carpe- par lequel s’exprime en définitive la "dialogicité" de l’âme elle-même. Tout suicide paraissant ontologiquement impossible, le lecteur se sentira-t-il pour autant heureux comme un poisson dans l’eau ? Laissons à Dieu (le dieu des livres, à tout le moins) le soin de se prononcer…


Frédéric Grolleau
( Mis en ligne le 26/08/2000 )
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