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Ki-est-Ki
Alain Libéra (de)   Morgen Schtarbe
Flammarion 1999 /  15.88 € - 104.01 ffr. / 267 pages
ISBN : 2-08-212530-0
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Déraciné de l'existence et écrivain raté, Morgen Schtarbe, de son vrai nom Irving Sterne, digère ses échecs littéraires en s'envoyant régulièrement une bonne dose de colle assortie à un paquet de barbituriques. Qu'aurait-il donc voulu être, cet individu mort-né, disparu à peine venu le matin de sa naissance, comme le souligne son nom allemand ? Un écrivain, digne de concurrencer Pierre Morcenx, ce garçon rencontré au lycée à qui tout sourit depuis l'enfance, devenu auteur renommé, tandis que le narrateur, plongé jusqu'au cou dans l'indigence, se perd dans des tempêtes d'alcool et de médicaments pour survivre.

Avant d'être un personnage fictif ou un fou, il est donc le narrateur qui se raconte dans ces pages et qui traque son ombre en jouant au jeu du Ki-est-Ki. Il est cependant tout sauf facile de mettre un nom sur celui que nous croyons être. De distinguer la vie dont nous rêvons de celle que nous subissons, tant bien que mal.

Mais, jusqu'à preuve du contraire, un écrivain doit écrire. Or Schtarbe butte depuis toujours sur les deux seules phrases qu'il juge intéressantes mais dont il ne parvient pas à tirer une trame recevable. Tel le tic-tac d'un métronome envahissant, "Pierre était assis au bar de l'hôtel" et "Rîcwald cherchait nerveusement son heaume" scandent de manière indélébile les pages à venir. Il est vrai qu'il lui faut du temps, Morgen Schtarbe. Beaucoup de temps pour saisir ce qui défile sous ses yeux. Comment produire une oeuvre dès lors qu'on met plus de dix ans pour comprendre la prose d'un André Comte-Sponville ? Le récit qui se déroule devient peu à peu celui de son ultime décision : arrêter d'écrire, renoncer à la magie des mots. Reconnaître, définitivement, que sa vie est une vaste mascarade avant que le cancer qui le ronge ne l'emporte. Un fiasco complet qu'une étonnante philosophie du Formica ne peut racheter.

Il est toutefois des créations qui naissent soudain quand leur destruction est imminente. L'auteur n'étant pas en mesure d'insuffler à ses personnages la dimension épique qu'ils attendent, ce sont les personnages qui vont se manifester à lui. Ainsi s'échafaudent, entre rire et folie, logique et incohérence, triste réalité et délire cinématographique, des relations
étonnantes entre Pierre l'énigmatique, disparu avec violence, et l'incroyable Rîcwald von Gurken dont on ne sait au juste s'il est un chevalier teutonique en quête vers 1240 d'un heaume manquant ou un commissaire, français puis italien, confronté à la médiocrité de l'existence des années 90. Le vrai livre ne se trouve pas là où on l'attendait. Poursuivi par ses fantômes, la cohorte des désirs inassouvis et des haines rentrées, l'auteur agglomère enfin l'impossible histoire liant Pierre et Rîcwald à la description amère de ses états d'âme. A la terrible revanche qu'il entend prendre sur Morcenx.

Egratignant symboliquement quelques philosophes de bon ton, Alain de Libéra s'amuse à pulvériser tous les genres, en jouant de tous les clichés.
De nombreuses trouvailles langagières ancrent le héros dans les jours sans joie d'une adolescence provinciale, dans les effluves de la Bretagne, le tumulte économique et idéologique du tout-football, le primat des produits laitiers et de la cuisine sous-vide. Dénonçant toute compromission avec le conformisme de la pensée et le culte d'une nostalgie artificielle, Morgen Schtarbe pousse à son comble l'effet de miroir où s'égarent tant l'écrivain que le lecteur aux confins du réalisme et de l'hallucination mentale. Sous le prétexte d'exposer les contraintes littéraires du Livre parfait, plusieurs romans - historique, policier, (faussement ?) autobiographique - naissent ainsi de concert, convergents ou centripètes, pour périr peu après, laissant au lecteur les derniers indices de ce qu'est la genèse littéraire : un certain goût de l'inachèvement.

Un roman complètement "schtarbé" à soumettre d'urgence à ceux qui croient maîtriser l'art d'écrire des livres. Et, tout naturellement, à ceux qui nourrissent l'illusion de parvenir à les déchiffrer.


Frédéric Grolleau
( Mis en ligne le 28/09/1999 )
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