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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Dave Eggers Suive qui peut Gallimard - Du Monde Entier 2003 / 22.90 € - 150 ffr. / 462 pages ISBN : 2-07-076907-0 FORMAT : 14x21 cm
You shall know our velocity (2002), traduit de l'américain par Pierre Charras. Imprimer
Will et Hand ont une semaine pour faire le tour du monde et dépenser une fortune tombée inopinément dans les mains du premier. Le monde en sept jours donc
Quittant les tristes et froides contrées nord-américaines pour les plages africaines, ocres et lapis-lazulis, les cités marocaines, les nuits glaciales des contrées baltiques, ils sèment à tout vent ces dollars immérités, sur lesquels brille aussi lil de Caïn
Car cet argent aurait pu aider à sauver le troisième ami, Jack, fauché violemment par une mort forcément injuste, lherbe courte de 27 années, coupée sous leurs pas
Alors, largent devenu vanité attise les scrupules, les remords. Alors, il faut se rédimer pour cet échec et distribuer les billets verts dans ces contrées miséreuses. Telle est la mission de nos amis, comme le fardeau de deux jeunes hommes blancs. Scrupules pour un ami non repris à la mort
Scrupules de deux blancs-becs enrichis face à un monde qui ne connaît pas leur chance ? Peut-être aussi
On saisit alors toute la portée symbolique de cette dilapidation volontaire. Suive qui peut ? Les messages semblent multiples. Il faut dabord comprendre la vélocité de ces deux jeunes gars (You shall know our velocity, titre original) que ladolescence a quittés, dont il faut faire le deuil, ou sinon fuir. Will et Hand courent pour esquiver ce temps qui passe, le chevaucher et sy accomplir. Pas une minute à perdre : il faut remplir ce temps fugace jusquau trop plein, comme on materait un pur-sang réputé indomptable. «Nous voulions être en mesure de nous enorgueillir de la moindre heure de cette semaine, être fiers davoir accompli des actions jamais ou rarement accomplies jusque-là.» (p.49) La mort de Jack, une maladie cardiaque rare et une agression traumatisante aiguisent singulièrement chez Will, le narrateur, cette peur de mourir qui est un mal de vivre
Cette quête est surtout la sienne ; Hand nest quun compagnon, bourru, sympathique, heureux de vivre, épicurien en somme. Lui ne fuit pas ; il voyage. Will est terrassé : «Tu nas pas besoin de ta tête. Sors-la de son emballage et propulse-la dans le monde.» Comme ces indiens Sauteurs dont parle la légende, il veut courir «pour mieux supporter le poids de [sa] montagne» (p.431). Will est un homme qui se croit fini, achevé, bétonné «je suis déjà gavé» (p.357) -, et le voyage, croit-il, le rendra léger à nouveau, comme un ballon dhélium
Gagnera-t-il à une telle course?...
Le problème est que ce mal de vivre, parfaitement retranscrit par Dave Eggers, devient par les mots un mal de lire
On voudrait souvent interrompre la lecture comme Will voudrait stopper sa vie. Car on sent bien quil en a marre. Mais il sattache malgré tout et poursuit son chemin en faisant le tour du monde. Alors on sattache aussi et, malgré le malaise, on continue de lire. Mais le malaise est là ; la lecture en est poussive, pénible, douloureuse. "Tout de même nous rions", nous rassure léditeur en quatrième de couverture. Soyez prévenu : vous ne rirez pas, malgré les grimaces de Hand, car vous serez Will
Suive qui peut est un roman qui embarrasse mais qui, une fois le livre posé et médité, se révèle dans toute son épaisseur. Ce nest pas un roman léger. Cest un roman grave, comme ces montagnes doù Will voudrait senvoler. Pas lourd mais grave, massif comme un monument, comme la vie parfois. Le problème, cest quon ne se déleste pas avec une poignée de dollars
Peut-être plutôt avec quelques pages, des chapitres, un bouquin écrit avec sincérité et quelques idées drôles : des images et des photos se faufilent entre les lignes et une page blanche figure parfaitement ce que cherche notre héros pendant quelques secondes : une suspension, une pause, un envol, comme un soulagement
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 03/12/2003 ) Imprimer | | |
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