| Alice Sebold Lucky Nil 2005 / 19 € - 124.45 ffr. / 332 pages ISBN : 2-84111-309-4 FORMAT : 14x23 cm Imprimer
Alice Sebold, remarquée en 2003 avec Nostalgie de l'Ange (Nil Editions), y décrivait le monde à travers les yeux d'une jeune adolescente passée dans l'autre monde, des suites d'un viol doublé d'un assassinat sordide. Roman panoptique et allégorique, il était ce moyen universellement reconnu de dire sans la dire l'horreur du viol, par une femme elle-même victime quand elle avait 18 ans.
Retour sur Terre après ce purgatoire littéraire. Bien en vie, Alice Sebold, avec ce deuxième opus, témoigne. Mémoires à peine déguisés en roman, Lucky revient sur ce viol hélas fondateur. Moment zéro suggéré de manière poignante durant les premières pages du livre, il orienta la vie de l'auteur, ici narratrice et héroïne. Alice... Jusqu'à ce roman exutoire. On peut regretter dailleurs que dans la construction du roman nait été choisi le contre-courant plutôt que lexposé linéaire, car une fois le viol dit, le récit finit par traîner, lasser un peu. Cétait la seule qualité du film polémique de Gaspar Noé - Irréversible, par ailleurs indigeste, pornographique, moralement suspect. De déconstruire le temps pour rendre plus palpable sa course et montrer son irréversibilité
A partir de l'agression dans ce souterrain sombre proche de la fac, l'auteur nous décrit sa vie : l'hôpital, l'assistance sociale, le malaise des autres entre compassion, mutisme, rejet : «Mais j'étais en train d'apprendre que personne pas plus les femmes que les hommes ne savait par quel bout prendre la victime d'un viol.» (p.111) Plus loin : «Je n'étais qu'un catalyseur qui rendait les gens nerveux, coupables ou furieux.» (p.155) Et la vie qui avance vers un mieux-être improbable, ré-enracinement dans un quotidien malgré tout pollué par le souvenir et un deuil jamais vraiment accompli. Sans parler des poursuites judiciaires, de l'engrenage kafkaïen : déposition, identification, cour de justice, etc.
On suit la narratrice dans ce portrait clinique dune vie en partie sacrifiée et lon comprend au fil des lignes que cet événement exceptionnel a aussi sa part de banalité, parce que le viol nest pas si rare dans nos sociétés. «Je partage ma vie avec mon violeur. Il est l'époux de mon destin.» (p.78) Combien de ses épouses de la laideur dans les rues de nos quotidiens ?... Pour elles, et pour nous, Alice Sebold prête une voix, une plume, parce que «la mémoire peut sauver, qu'elle a du pouvoir, qu'elle est souvent le seul recours des impuissants, des opprimés, des maltraités.» (p.150), et dans un style heureusement né dun amour des lettres ayant précédé le viol, de sorte quon ne peut que souhaiter que la poussière sinstalle, que les débris se déposent dans cette sphère damertume quagite encore lauteur, et que dautres romans, émancipés de ce pourrissement, suivront
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 21/03/2005 ) Imprimer
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