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Le Haut Mal selon Jouhandeau
Marcel Jouhandeau   De l'abjection
Gallimard - L'Imaginaire 2006 /  6.90 € - 45.2 ffr. / 205 pages
ISBN : 2-07-077743-X
FORMAT : 12,5cm x 19,0cm

Préface de Hugues Bachelot.

L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile.

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Texte hybride et déroutant, recueil d’aphorismes et de souvenirs intimes traversé de fulgurances, De l’abjection de Marcel Jouhandeau a été publié pour la première fois en 1939. Au fil de cette réflexion sur les rapports entre le corps et l’âme, la foi et la morale, le sublime et la bassesse, les extrêmes s’épousent puis se déprennent, les paradoxes s’affichent, car selon l’aveu même de l’auteur : «D’un côté de la vitre je nourris les oiseaux et de l’autre le chat qui les croquera peut-être».

L’attitude de Jouhandeau n’a rien perdu de sa puissance de subversion. Cet aristocrate ose revendiquer la singularité de ses désirs et de son Secret, en restant cependant conscient de ses faiblesses et de ses failles. Sa lucidité consiste à viser, dans son abord des êtres, à un juste milieu : «À la profondeur de son humilité on ajoute la hauteur de son orgueil et l’on obtient la hauteur d’un homme». Ainsi compte-t-il échapper à l’aveuglement qu’impose la doxa du plus grand nombre et à la hâtive faculté de jugement qui lui est inhérente.

Difficile dans ces conditions de trancher si l’on a affaire à un moraliste ou à un immoraliste. De l’abjection n’est en effet ni un manuel de vertu à l’usage du Pécheur repentant, encore moins une approche jubilatoire du libertinage, mais plutôt le récit de l’expérience, aussi lumineuse que douloureuse, d’une double révélation : un besoin de religion conjugué à une irrépressible homosexualité. Antithétiques et pourtant complémentaires chez Jouhandeau, ces aspirations se côtoient pour, dans les dernières pages, mieux se nier, le discours à l’amant cédant le pas à celui adressé à un Toi suprême, désincarné, purifié. La subtilité de cette prose envoûtante tient sans doute à la rhétorique qui s’y déploie, tissée de syllogismes imparables et de négations intriquées («C’est surtout parce que je ne peux pas ne pas croire à l’Enfer que je ne peux pas ne pas être catholique»). Le style de Jouhandeau et son sens de la formule atteignent ici des sommets.

Impitoyable avec ceux qui préfèrent le commun à l’unique, le multiple au rare, Jouhandeau se drape dans sa solitude, s’y complaît et célèbre le Culte de son Moi sur un autel orné d’incartades, de penchants suspects et d’exceptions. Et pas question de l’y déranger, au moment où il s’exhausse ou se flagelle : «Perds-toi toi-même plutôt que d’être sauvé par un autre. Sauvé par un autre ? C’est abdiquer». Las de devoir le paraphraser, on n’en finirait pas de citer ce bréviaire d’un Indocile qui pensa, avec autant d’acuité que Genet ou Bataille, la sainteté du Mal sans tomber dans sa sanctification littéraire, et qui sut résumer avec plus de panache que Sartre l’exercice de la liberté individuelle, en affirmant, limpide : «Où Je rencontre une limite, c’est que Je est sorti de lui». Cioran non plus n’est pas loin, notamment lorsque la souillure voisine avec la mystique, ou quand le fouet cingle : «D’autres sont bien empêchés de faire tout le mal qu’ils voudraient et sans aucun mérite, comme un manchot ne s’intéresserait qu’à toute espèce de jonglerie et un cul-de-jatte ne rêverait que course à pied».

C’est donc un équilibriste que l’on suit du regard, jusqu’aux inévitables chutes et à ses remontées obstinées sur le fil. Car celui que sa mythique Élise surnommait Saint Mauvais n’est pas du genre à renoncer : «Je discipline mes faux pas et je danse».


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 04/10/2006 )
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