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Tableau-fantôme
Christian Garcin   L'Autre monde
Verdier - L'Image 2007 /  9.50 € - 62.23 ffr. / 54 pages
ISBN : 2-86432-489-X
FORMAT : 14,5cm x 22,0cm
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Si «la possibilité romanesque dépend, en vérité, de la capacité du texte à répondre à l’appel inouï du réel», pour reprendre la formule de Philippe Forest dans son récent et stimulant essai Le Roman, le réel, alors L’Autre monde de Christian Garcin est un roman.

Les circonstances de la production de ce livre, à savoir répondre au principe de la collection «L’image», dirigée par Alain Madeleine-Perdrillat chez Verdier, n’y font rien. Christian Garcin ne se contente pas de commenter une image, en l’occurrence un tableau de Gustave Courbet intitulé Cerf courant sous bois : il écrit un roman sur le Réel, c’est-à-dire l’impossible, c'est-à-dire, pour continuer de citer Philippe Forest, qu’il «s’assigne pour tâche contradictoire la représentation de l’irreprésentable». Certes, la tâche se dédouble puisqu’il s’agit de faire et de montrer dans le même temps. Il s’agit d’expliquer cette expérience d’un «saisissement mêlé à l’effacement» (p.34) liée au tableau de Courbet, ainsi qu’à d’autres œuvres, de peinture, de littérature ou encore cinématographiques, mais il s’agit aussi de la faire éprouver. L’Autre monde se présente donc trompeusement comme un court récit évoquant avec clarté une émotion artistique : l’ouvrage se veut aussi une expérience d’écriture, une aventure artistique sur l’aventure de l’art, même s’il en fait peut-être un peu trop du côté des péripéties…

Au départ donc, un tableau de Courbet, ou plutôt une carte postale reproduisant ce tableau, ou plutôt, non, car cette image, elle se trouve parmi les pages de garde : dans le premier chapitre, il y a l’obscurité, le secret, l’étrangeté d’un récit dont le narrateur est le cerf lui-même. Il y a des sensations animales, l’expérience d’un passage mystérieux vers l’autre monde et l’apparition d’une «silhouette connue, puis deux». Mais ce chapitre est en italiques et il s’agissait d’un rêve : le récit de la découverte du tableau sera ensuite très circonstancié. Si ce n’est que l’auteur affirme n’avoir jamais vu le tableau lui-même, seulement sa reproduction sur une carte postale. Si ce n’est que dès le paragraphe suivant, il parlera sans sourciller des effets du tableau, et l'on se laissera prendre puisqu’il a pris soin de longuement nous parler de musées. Et d’autres rebondissements surviendront à propos de l’apparition ou de la disparition de ce «tableau-fantôme», qui redoubleront l’effet de ce qu’il représente…

L’important, c’est le tableau et plus précisément «la puissance suggestive de l’arrière-plan esquissé» (p.10). C’est la bande de vert qui évoque la profondeur de la forêt, qui provoque des considérations sur ce qu’est la forêt dans la culture occidentale, qui convoque l’autre monde : «le monde de l’animal, que nous ne savons ni ne pouvons soupçonner» (p.11). Car la forêt médiévale, la sauvagerie et le danger sont des lieux voisins de l’écriture. Ils sont à l’envers du monde «comme l’écriture [est un envers] pour le langage» (p.12). En somme, «l’espace qui se dessine à travers cette esquisse de vert recoupe à peu près celui de «l’Ouvert» rilkéen» (p.11). Et l’auteur de citer encore Giorgio Agamben insistant sur la nécessité d’aller «là où finit le langage» pour échapper à ses représentations (p.13) Ainsi, ce n’est aucunement de Gustave Courbet que parle l’auteur de L’Autre monde, c’est de Christian Garcin et de l’écriture : «Loin du monde le langage se heurte à sa matière propre et se révèle à lui-même, avant de s’oublier. J’écris. Je longe la forêt, parfois pendant très longtemps. Puis j’y entre à petits pas, armé de phrases brèves. Ce que me dit la fuite éperdue du Cerf courant sous bois peine à franchir mes lèvres. Il me semble que le moment de cette révélation du langage à lui-même est ce que je cherche dans l’écriture. Lorsque j’écris je cherche l’autre monde» (p.16).

Or, non seulement cet autre monde est perdu, mais le langage même pour le dire l’est également. L’auteur en vient à la mort de Pan, notamment telle qu’elle est mise en scène par Rabelais dans le Quart Livre (l’épisode des Macraeons). Bien des mondes se sont éteints depuis le Moyen-Âge, depuis l’Antiquité, depuis la Renaissance, et bien des langages qui leur correspondaient. Alors surgit «une étrange idée selon laquelle a pu exister jadis, au-delà des divers écrans que l’espèce humaine a interposés entre le monde et elle, un autre état du langage, qui disait un autre état de la réalité. Qui disait un monde où le monde des bois, des arbres, des sources et des divinités faisait encore signe» (p.17). C’est peut-être la raison pour laquelle Christian Garcin joue à son tour de la superposition de divers récits de diverses natures pour oser évoquer sa fréquentation de l’animalité. Ainsi il raconte avec persuasion (mais de nouveau en italiques) une chasse au chamois qui n’a jamais eu lieu, puis dénonce l’imposture et expose les fragments de vie ayant nourri cette fiction : d’autres chasses, d’autres tueries plus dérisoires, d’autres rencontres avec la bestialité, en soi autant qu’à l’extérieur de soi, car le monde des bêtes, selon Thoreau (Walden), est «l’envers de ce qui est au-dedans de nous». Des expériences du corps, des vertiges de la chair et du sang qui font immanquablement penser au Giono de la première période, fantôme non cité et qui hante pourtant ce passage panique, à proprement parler.

Christian Garcin, outre Tarkoski dont il commente les films avec émotion, préfère Rilke et Kafka ; le chapitre initial évoqué plus haut se comprend d’ailleurs avec cette citation à propos de Kafka : «Dans Le Terrier, le point de vue adopté, et surtout l’expérience livrée au lecteur, est celle de l’animal dans son altérité, sa bestialité, sa toute-puissante étrangeté. C’est le seul texte qui donne l’impression d’avoir été écrit par quelqu’un qui avait pénétré l’autre monde : le monde de l’animal, de la présence immédiate, de l’immémorial à jamais oublié» (pp.47-48). C’est en effet, toutes proportions gardées, cette impression que l’auteur de L’Autre monde semble avoir voulu produire au début de son livre. C’est en tout cas l’expérience autour de laquelle tourne l’ouvrage, à grand renfort d’apparentes digressions qui établissent des correspondances passionnantes.

Et à la fin tout s’efface, comme au début «tout est obscur» : le dernier chapitre (encore une fois les italiques), intitulé comme il se doit «La disparition», n’est pas le plus convaincant. La réflexion de Christian Garcin sur le propre de la création artistique qui est confrontation à l’impropriété de la langue et de l’art, n’avait nul besoin de cet artifice, l’artifice serait-il produit par l’existence même. Mais le Réel aussi peut parfois un peu trop appuyer ses effets, et l’artiste ne pas désirer les atténuer, comme en hommage aux possibles de l'Impossible...


Alain Romestaing
( Mis en ligne le 09/03/2007 )
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