| François Cérésa Les Moustaches de Staline Fayard 2008 / 16 € - 104.8 ffr. / 200 pages ISBN : 978-2213637693
Date de parution : 20/08/2008. Imprimer
Revisiter le passé en posant un regard mûr, aguerri sur les lieux emblématiques de ses vacances denfant et dadolescent. Revivre inopinément des émotions enfouies qui fébrilement réveillent des expériences anciennes, des images oniriques de personnes, à présent mortes ou âgées. Se rendre compte que ce vécu a insidieusement modifié le cours de lexistence et orienté une vie dadulte qui, sans ces rencontres dété, aurait été inévitablement différente. Sapercevoir à 50 ans et des poussières que lenfant que lon a été ne demande quà respirer sous le fatras des années alourdies par des contingences quotidiennes répétitives, à se reconnecter à un pan de son histoire. Et ainsi, analyser et comprendre ces gens que lon a admirés, aimés sous le regard, parfois cruellement aiguisé de ladulte vidé de linnocence de lenfant qui na pas encore suffisamment vécu pour saisir les enjeux complexes des relations.
Avec subtilité, François Cérésa emporte, dans les méandres des souvenirs, Jean, quinquagénaire parisien à loccasion dun week-end de solitude à Cabourg.
Jean marche dans la rue quand il croise une silhouette aux contours qui ne lui sont pas inconnus. Ce nest autre que Garance. Ah Garance Lannes-Perrodeau ! La complice de son adolescence, la plage du club Mickey, la Buick décapotable de son père, la fascinante beauté dYvonne, sa mère, les soirées grandioses, intellectuelles, coquines, alcoolisées offertes à La Colline, limposant manoir des Lannes-Perrodeau, Tom, laviateur américain, au physique si cinématographique. Dans un tourbillon lascif de retrouvailles, Jean et Garance se remémorent ces années 60/70 ponctuées détés aussi festifs quinitiatiques.
Leurs points de vue diffèrent souvent. Car, chacun avait une place bien différente ; lui, Jean, le fils dimmigrés italiens, le prolétaire du quartier du Hérisson, a été subjugué, émerveillé, troublé au tréfonds de lui-même par le faste de la famille de Garance et les symboles quelle représentait. Elle, Garance, a souffert de cette famille aux apparences géniales mais qui nen cachait pas moins des secrets diaboliquement lourds.
Jean, dont le cur était ébloui par la sublimissime Yvonne, ne peut sempêcher de conserver intacte limage dune femme dont il était amoureux. Garance, détériorée par un sentiment de jalousie maladif vis-à-vis dYvonne, sa mère, aux pulsions libertines et convoitise de tous les hommes, ne peut sempêcher de déblatérer, avec une jouissance certaine, sur cette image maternelle, source de tous ses maux.
Entre tendresse et violence, ce duo répare les non dits, équilibre les réalités, désacralise un monde magique en apportant lâpreté des pièces manquantes au puzzle de leur naïve perception denfants. Ces mises au point rendent Garance venimeuse envers Jean, comme si ce dernier était lultime témoin de ses blessures narcissiques et que, par linadvertance de leur rencontre, elle avait enfin trouvé le bouc émissaire idéal pour se décharger de ce fardeau. Cette bataille presque fratricide est salvatrice, permettant de conquérir le détachement émotionnel nécessaire pour clore définitivement un chapitre de vie.
La justesse des mots, la chaleur et lintimité que François Cérésa donne à sa narration, rendent son roman très attrayant.
Frédéric Bargeon ( Mis en ligne le 12/08/2008 ) Imprimer | | |