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Bruce Lee sur les châteaux forts
Céline Minard   Bastard battle
Léo Scheer - Laureli 2008 /  12 € - 78.6 ffr. / 103 pages
ISBN : 978-2-7561-0140-8
FORMAT : 14cm x 21cm

Date de parution : 27/08/2008.

L’auteur du compte rendu : Ancien élève de l’École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à l’Université de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur les modalités de présences du cinéma dans le roman français contemporain.

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Le quatrième roman de Céline Minard, Bastard battle, peut assurément prendre le titre d’«objet littéraire le plus bizarre de la rentrée 2008». Tentons quand même d’en donner une idée. Le texte se présente comme une épopée médiévale à l’intrigue classique : Denysot-le-Clerc dit le Hachis, copiste doué et amateur de dives bouteilles, prend la parole pour nous raconter l’histoire du bâtard Aligot de Bourbon, personnage cupide, violent et tyrannique, qui prend de force la ville de Chaumont en l’an de grâce 1437. Peu à peu, à la suite des multiples massacres, exactions et injustices commis par Aligot, un petit groupe va décider de lancer une contre-offensive, reprendre Chaumont et se débarrasser du maudit bâtard. Ce que ce résumé ne dit pas, c’est que parmi ces valeureux combattants vont se placer Billy, Akira et Vipère-d’une-toise, experts respectivement en tirs au pistolet, sabre et kung-fu. Le choc des cultures, des espaces et des temps n’a quasiment pas lieu ; l’épopée guerrière médiévale accueille naturellement en son sein les arts martiaux, sans jamais que cela ne paraisse forcé ou artificiel.

Mais, a-t-on dit cela qu’il manque encore une remarque de taille : Céline Minard réussit le tour de force d’écrire Bastard battle entièrement dans un Ancien et un Moyen Français tout à fait corrects et plausibles. Nos habitudes de lecture s’en retrouvent chamboulées ; il s’agit de ne pas sursauter devant l’orthographe («hystoire», «feste»), le vocabulaire («pipeur», «garbouil»), la syntaxe. Bastard Battle doit en premier lieu être considéré sous cet angle : un tour de force généalogico-linguistique, un geste littéraire ludique qui exhibe un plaisir quasi charnel des mots, une sorte de plaidoyer pour la richesse et l’historicité de notre langue. Notre langue, mais aussi quelques langues étrangères : la superposition que l’on a relevée dans la narration et le traitement de l’histoire est également présente au niveau stylistique, rien que dans le titre du livre qui vaut manifeste poétique à lui seul. Ce mélange donne lieu à de nombreuses trouvailles savoureuses : on évoque une «tragédie jekspirienne» et une «leschefricte», les personnages tombent «roide dead» ou s’insultent en se lançant des «garatagl, garatofyon». Difficile de résister à cette parade langagière haute en couleurs.

C’est également à un niveau intertextuel que Bastard battle retient notre attention : Céline Minard reprend bon nombre de procédés et de thématiques propres aux épopées médiévales ou aux romans du XVIe siècle. On y trouve une très belle adresse au lecteur, des digressions, des devis, des récits enchâssés, mais également les thèmes de l’honneur, de la justice, de la nourriture, du corps carnavalesque et «carnavalisé», et surtout celui de la violence physique et verbale, omniprésent tout au long du texte… Rabelais est à l’honneur dans ce jeu intertextuel, et semble s’imposer comme le grand inspirateur, jusque dans la présence des fameuses et très rabelaisiennes «listes» («On fit pour l’occasion percer maints tonneaux de vin clairet et vin de Beaune. Furent embrochés et mis à rost quinze moutons et trente gourretz de laict en saulce à beau moust et faicts cent platz de gelée à la Tayllevent [sic] comprenant vingt et un poussins, six lapereaux, quatre cochons, trente gigotz de veau […]»). A côté de Rabelais se placent aussi Marguerite de Navarre et son Heptameron, ou bien encore Shakespeare. Mais, œuvre polymorphe et «mêlée» oblige - très «renaissante» d’ailleurs en cela -, Bastard battle achève le tableau en convoquant Kurosawa, Bruce Lee, Quentin Tarantino, Les Sept Samouraïs et le western.

L’ensemble peut assurément paraître gratuit et ne relever que de l’exercice de style. Gageons sans trop nous avancer que ce drôle de roman abandonnera plusieurs lecteurs en route. Néanmoins, il convient de relativiser cette accusation de gratuité que certains ne manqueront pas de faire à l’auteur : il semble au contraire que Céline Minard ait choisi de tels procédés afin de tracer une double généalogie : généalogie de la langue bien sûr, mais aussi généalogie de la représentation de la violence. Des chansons de gestes aux films de Tarantino, de Panurge à Bruce Lee et aux westerns américains, ce serait en fin de compte une seule et même interrogation sur la violence et la barbarie des hommes, sur leurs affrontements perpétuels, pour la justice ou pour le mal.

Le pot-pourri littéraire et cinématographique trouve sa justification dans la prise de conscience que, au final, c’est toujours la même histoire qui se répète et se raconte à travers les siècles, les langues, les pays, et les arts. «Et ainsi ja l’hystoire ne finira» : telle est la dernière et éloquente phrase de ce texte palimpseste.


Fabien Gris
( Mis en ligne le 26/09/2008 )
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