| Roland Barthes Journal de deuil - 26 octobre 1977 - 15 septembre 1979 Seuil - Fiction et cie 2009 / 18.90 € - 123.8 ffr. / 268 pages ISBN : 978-2-02-098951-0 FORMAT : 13cm x 18,5cm
Lauteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française (PhD), membre du Groupe «Autofiction» ITEM (CNRS-ENS) et auteur, chez lHarmattan, de Hervé Guibert. Vers une esthétique postmoderne (2007). Il a cofondé un site de ressources consacré à Hervé Guibert (http://herveguibert.net) et un site dédié à lécriture autofictionnelle (http://autofiction.org). Imprimer
Il y avait quelque chose de proustien dans la relation quentretenait Roland Barthes avec sa mère. Ainsi, le magistral critique, tout autant écrivain quécrivant, aurait-il pu être lauteur de ces quelques mots que Proust envoya à lun de ses amis, au lendemain de la disparition de «maman» : «Ma vie a désormais perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation».
De sa mère, il en avait déjà été question dans le Roland Barthes par Roland Barthes (1975), dans un fragment intitulé «un souvenir denfance», ou encore par lintermédiaire de quelques photographies qui étaient «la part du plaisir» que lauteur soffrait à lui-même en terminant son livre. De même, La Chambre claire (1980) centrait sa seconde partie sur lévocation de la découverte dune photo de «mam», ainsi quil la surnommait, alors quelle était encore enfant. Il y écrivait dailleurs : «Je voulais, selon le vu de Valéry à la mort de sa mère, «écrire un petit recueil sur elle, pour moi seul» (peut être l'écrirai-je un jour, afin qu'imprimée, sa mémoire dure au moins le temps de ma propre notoriété)».
Peut-être ce Journal de deuil, texte inédit issu des archives de lIMEC (Institut Mémoires de lEdition Contemporaine), est-il lébauche de ce «petit recueil sur elle», Henriette, qui mourut à lâge de 84 ans, le 25 octobre 1977. Peut-être, car comme le note Nathalie Léger qui a établi et annoté la présente édition, «on ne lit pas ici un livre achevé par son auteur, mais lhypothèse dun livre désiré par lui, qui contribue à lélaboration de son uvre et, à ce titre, léclaire».
Pas un livre abouti donc, mais un ensemble de 330 fiches rédigées et datées entre le 26 octobre 1977 et le 15 septembre 1979, fiches faites majoritairement de courtes annotations qui disent la douleur, le chagrin, linterrogent, le mesurent et tentent de cerner le deuil. Elles révèlent un «sujet dévasté en proie à la présence desprit», elles expriment la déchirure intérieure, la «zébrure, la béance de la relation damour». Barthes se raccroche à lécriture qui paradoxalement sorigine dans labsence et le désarroi, il se confronte à létrange discontinuité du deuil qui ne suse pas : seule lémotivité passe avec le temps
Comme toujours avec Roland Barthes ainsi en est-il dans la grande Littérature tout est dit avec justesse, chaque mot, même le plus anodin, est pesé, saisit lémotion au plus près. On le comprend rapidement à la lecture, il en allait de lécriture de ce journal comme dune nécessité, une «Nécessité du Monument», note-t-il, pour se souvenir que «mam» avait vécu mais aussi pour apprivoiser lirrémédiable et le définitif de sa disparition. Et en apprivoisant la mort de lAutre, indéniablement, il domestiquait la sienne propre qui arriverait rapidement, un an plus tard, en 1980 : «Penser, savoir que mam. est morte à jamais, - complètement [
] cest penser, lettre pour lettre (littéralement, et simultanément), que moi aussi je mourrai à jamais et complètement».
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 27/02/2009 ) Imprimer | | |