| François Caradec Willy - Le père des Claudine Fayard 2004 / 22 € - 144.1 ffr. / 392 pages ISBN : 2-213-61611-6 FORMAT : 16x24 cm Imprimer
Réhabiliter Willy ? Lentreprise est hardie. En 1900, lorsque paraît Claudine à lEcole, Henry Gauthier-Villars, dit Willy, est sans conteste lun des personnages les plus considérables de sa Belle Epoque. Mais voilà, tout ce que ladite époque suggère aujourdhui dégoïsme et de frelaté, il se trouve que Willy semble lincarner à merveille. Avec sa barbiche et son haut-de-forme à bords plats, sa canne et ses gants, son embonpoint et sa lippe de viveur, ses amitiés dans le tout-Paris des lettres et des arts, ses frasques, ses duels et ses dépenses somptuaires, fort, surtout, de sa solide indifférence à tout ce qui - socialement, politiquement, géographiquement - ne touche pas à son petit univers, lhomme campe dabord larchétype du littérateur bourgeois davant-guerre.
Et puis, le Pygmalion malgré lui ne facilitera pas vraiment lenvol du vrai grand écrivain de la famille Gauthier-Villars, Colette. Le succès de la série des Claudine, on le sait, doit plus, dès ses premiers épisodes, à sa discrète épouse quà son signataire officiel. Du reste, Willy endosse la paternité dautres écrits de sa femme, comme il encaisse la plus grosse part des droits des «ateliers Willy», ces équipes de plumitifs parfois connus (Francis Carco, Paul-Jean Toulet) quil entretient pour gonfler le chiffre daffaires de sa PME littéraire. Sil na pas inventé le système, il le perpétue et le bonifie, accordant par exemple une attention très moderne à ce qui ne sappelle pas encore le marketing.
Le catho de bonne famille est bien sûr devenu romancier polisson, le polémiste est féroce, le critique musical, plus ou moins compétent, savère outrageusement influent, le boulevardier trouve le temps de faire des affaires, le journaliste copie, lauteur traduit, le joueur malchanceux est un dépensier insolvable. Revers de cette boulimie brouillonne, la marque Willy se déprécie vite. Trop de marketing tue le marketing, et lapprenti publicitaire ne le sait pas. Au-delà des jalousies dusage, les appréciations de ses pairs témoignent dun certain mépris pour la dispersion et la légèreté de lartiste. Or lhomme Willy ne rattrape guère le produit. Dans la grande affaire de sa vie, sa relation avec Colette, cest elle, malgré ses frasques, qui passe très tôt - et souvent à juste titre - pour une victime dans les salons de lépoque, plus encore aux yeux de la postérité.
Côté politique ? Pas mieux. Henri Gauthier-Villars servira dans la même batterie quun jeune lieutenant dactive de son âge, Alfred Dreyfus. Après des années dun antidreyfusisme mou couplé à un antisémitisme assumé, Willy reconnaîtra, avec son époque, linnocence du capitaine. Voici alors comment ce témoin capital nous résume lAffaire : «Je ne puis croire à la trahison dun homme qui jouait si bien du cor de chasse». Non, décidément Willy nest jamais sérieux, pas toujours gentil et pas vraiment honnête. Ce nest donc que justice, dira-t-on, si aujourdhui le pauvre Willy boy est tenu pour un moins que rien littéraire, un journaliste sans déontologie, un mari et un homme de peu.
En habile avocat dune cause - presque - désespérée, François Caradec, à qui lon doit déjà des «bios» de Lautréamont, Jarry, Alphonse Allais et Jane Avril, sattache à nous rendre le type sympathique. Daccord, lex de Colette, masque blafard agitant grotesquement les cotillons dune fête depuis longtemps éteinte, na guère que son humaine faiblesse pour susciter lempathie. Mais le bourgeois installé qui sattaquait dans les Claudine aux ligues de vertu ne manquait pourtant pas dun certain courage. Et puis, Willy nest pas mauvais écrivain - il est presque bon poète, à ses heures. Il tire le calembour comme pas un, ne rechigne jamais à un bon duel (même Erik Satie, son plus fidèle ennemi dans les cercles musicaux, finira pas le trouver «brave homme»), manie aussi bien lérudition que la gaudriole, affirme enfin en tout temps et en tout lieu un bel esprit et une mauvaise foi également bien français.
Etait-il temps douvrir le conseil de révision ? Si cest trop tôt, peu importe, François Caradec nous fait tenir le beau rôle en offrant ce riche plaidoyer à notre magnanime jugement. Colette elle-même, qui pourtant ne lui pardonnait pas davoir, un jour de dèche, bradé les droits dauteur de ses Claudine, affirmait de «son héros, contrebandier de lHistoire littéraire [quil était]
dune taille et dune essence à inspirer, et à supporter, la curiosité».
Jean-Michel Cedro ( Mis en ligne le 15/09/2004 ) Imprimer
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