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Littérature -> Biographies, Mémoires & Correspondances |
| Michel Lécureur René Fallet - Le braconnier des lettres Les Belles Lettres 2005 / 24.00 € - 157.2 ffr. / 361 pages ISBN : 2-251-44290-1 FORMAT : 15x22 cm Imprimer
Evoquant la génération des Hussards et les turbulences littéraires des Nimier, Laurent, Mohrt, etc., Pol Vandromme inventait la sympathique expression de "Droite buissonnière". Avec la biographie de René Fallet que signe Michel Lécureur, déjà reconnu pour ses excellents travaux sur Marcel Aymé, le lecteur entre plutôt de plain-pied dans lintimité dun tenant de la «Gauche braconnière», farouchement rétif à tous les comportements grégaires et à tous les uniformes
Fallet nétait pas un caractère simple, loin sen faut. Homme de coups de gueule autant que de coups de cur, angoissé et cyclothymique, il souffrit autant quil sut faire souffrir ses amis et ses conquêtes. Mais la question qui précède celle de lexamen de son dossier psychologique consiste à demander si, oui ou non, il fut un écrivain assez important pour mériter une biographie si ample, si détaillée
Nous ne sommes pas loin de le croire. Car, outre ses passages les plus anecdotiques (ses moments dextase quand, enfant, René jouait aux billes sur le couvercle dun pot de chambre, ses plus belles prises lorsquil découvrit les joies du loisir halieutique ou ses discussions avec Bernard Hinaud
), louvrage nous donne de suivre le parcours chaotique dun homme emporté par mille passions, inégal dans la qualité de sa production littéraire et qui pourtant marqua, si discrètement quil paraisse, la mémoire du roman et du cinéma français
Le saviez-vous ? Sans René Fallet, les dialogues de Fanfan-la-Tulipe eussent été moins pétulants. Sans lui, pas de «Au bois de mon cur» merveilleusement chanté par Brassens dans Porte des Lilas de René Clair. Pas de truculentes réparties dAudiard dans Les Vieux de la Vieille, ni enfin de mémorable concours de pets à résonances intergalactiques, tels quon peut en émettre au sortir dune bonne lampée de Soupe au choux
Fallet ressentit toujours comme une ingratitude de la part de la critique létiquette de «populiste» dont on laffubla quand il eut obtenu, en 1950, le prix du même nom. Son ascendance modeste, la pauvreté et les vexations quil connut dans son enfance conditionnèrent bien sûr lécriture de son premier roman, Banlieue Sud Est, véritable succès de librairie qui offrait un portrait à nul autre pareil de la génération de 1944
Mais notre auteur ne persévéra pas nécessairement dans une veine dinspiration populaire. Il sut ainsi se faire un poète délicat, parfois profond et plus encore éperdument amoureux en témoigneront par exemple ses textes enflammés à "Cerise". Surtout, il exerça avec talent sa plume de critique littéraire et politique dans nombre de revues de gauche ou anarchisantes telles que Le Canard enchaîné, Le Monde Libertaire ou Franc-tireur. Relire ses articles sur Brassens, le frangin, ou encore ses propos acerbes contre les artistes embourgeoisés (modèle Jean Cocteau, «ex-papillon devenu mite dAcadémie») est à ce titre un pur régal !
Le portrait vaudra donc le détour à qui ne redoute pas la fréquentation des véritables non conformistes. Ainsi lhomme épouse en 1956, à près de trente ans, une Michèle qui en à seize et quil rebaptisera Agathe. Quand il passe à la télé, chez Pierre Dumayet, au lieu de se gargariser de Nouveau Roman et de Tel Quel, il établit la subtile distinction entre «écrivains whisky» et «écrivains beaujolais». Au passage, il signale que son écriture nest peut-être rien dautre que leffet d«une distorsion de la puberté en milieu communiste». Ami de Jean Carmet (à la cave) et dAntoine Blondin (au comptoir), il sattire également lestime et ladmiration de Cendrars, Mac Orlan et, plus inattendu, de Gaston Bachelard
Il aime Louis Armstrong et un autre jazzman viennois nommé Mozart. Il milite au Liban, pour la protection des chats errants faméliques des rues de Beyrouth, et à Paris, contre la construction du Centre Pompidou. En 1968, il préfère animer lAmicale du Cochonnet Jalignois plutôt que de jouer à la pétanque avec des têtes de flics. Enfin, quand on lui demande de se définir politiquement, une bonne fois pour toutes, il se revendique «anar de gauche à droite, tendance essuie-glace».
Difficile donc de ne pas succomber au charme de cette belle figure demmerdeur, dont Jean Vautrin disait si justement quil était «un renard dans le poulailler du quotidien». A vos collets !
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 13/06/2005 ) Imprimer
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