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Littérature  ->  Biographies, Mémoires & Correspondances  
 

Le retour du Père Ubu
Patrick Besnier   Alfred Jarry
Fayard 2005 /  32 € - 209.6 ffr. / 724 pages
ISBN : 2-213-61878-X
FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
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A quoi reconnaît-on un grand écrivain ? Peut-être à sa postérité… Jarry a eu un privilège rare, celui d’avoir entraîné à sa suite la création du tout un mouvement d’une grande inventivité, qui se fondait sur les œuvres du maîtres tout en les renouvelant. C’est ainsi qu’a été fondé en 1948 le collège de ‘Pataphysique. Et Jarry a su fixer l’attention des plus grands auteurs du XXe siècle (rappelons que Queneau, Prévert ou Vian étaient Transcendants Satrapes) jusqu’à se voir biographer par Noël Arnaud, longtemps président de l’Oulipo.

Il n’en reste toutefois pas moins qu’Alfred Jarry est mal connu et le restera. On ne raconte pas la vie de ce dernier comme on a raconté ou raconte encore celles de Victor Hugo ou Baudelaire. On commence à peine à connaître suffisamment bien le personnage et l’œuvre pour pouvoir en proposer une synthèse. En effet, malgré les témoignages (eux-mêmes souvent sujet à caution), le vrai et le faux sont souvent difficiles à démêler, tant la mythologie se mêle au réel, tant est grand le nombre d’histoires que l’on se raconte à son sujet : il y a des «histoires de Jarry» comme il y a des histoires belges, écrit M. Besnier.

Alfred Jarry, mort jeune, est un homme du XXe siècle ayant vécu la plus grande partie de sa vie au XIXe. Il est un provincial, né à Laval, ayant fait ses études à Saint-Brieuc puis à Rennes avant de monter à Paris. Bon élève à l’imagination débordante (en tout cas certainement pas le satyre ou le pitre que l’on a parfois présenté), il écrit dès son adolescence et, avec quelques amis, invente quelques-uns des personnages que l’on retrouve plus tard dans son œuvre. Á Paris, s’il échoue coup sur coup au concours de Normal Sup, il rencontre Léon-Paul Fargue, publie quelques textes d’amateur et se fait déjà remarquer par ses extravagances. C’est à partir de 1894 que ses relations et ses publications commencent à lui faire une place dans le monde des lettres. Surtout, il rencontre Remy de Gourmont, alors tout puissant au Mercure de France, la grande revue de l’époque, ce qui débouchera sur des publications en collaboration. Il publie ses premiers livres (César-Antéchrist…), se fait un nom et se crée un personnage. Ami de Lugné-Poe, il fait jouer le célèbre Ubu roi au prestigieux théâtre de l’Œuvre ; cela lui vaut l’admiration des nombreux grands écrivains de l’époque mais provoque aussi le scandale. Il participe aux luttes littéraires du temps, se brouille avec certains, s’identifie de plus en plus à son héros Ubu et renonce bien sûr à tout engagement lors de l’affaire Dreyfus ; il conserve néanmoins des amis de premier rang avec qui il loue à Corbeilles une petite maison, le Phalanstère : parmi eux Valette, Herold ou Quillard. C’est aussi le moment où il publie plusieurs textes fondamentaux comme Le Docteur Faustroll (1898) ou de nouvelles variations sur son personnage favori avec Ubu enchaîné (1900) puis Messaline et Le Surmâle. Il mène des projets très divers, journalisme, collaboration avec le musicien Claude Terrasse… sans que cela lui donne toujours beaucoup de satisfaction. Il reste cependant en relation avec les avant-gardes nouvelles, notamment avec Apollinaire. Hélas, si ses amis tentent de l’aider financièrement (en publiant son inédit Le Moutardier du pape), Jarry, malade, meurt encore jeune en 1907.

Ce livre possède un plan beaucoup plus classique que celui que le même auteur avait publié chez Plon en 1990. Ce dernier était organisée en deux parties : l’une thématique prenant la forme d’un bulletin scolaire et l’autre autour des 27 livres composant la bibliothèque du docteur Faustroll, célèbre personnage de Jarry. Rien de cela ici : le plan est des plus classiques, purement chronologique. Tellement chronologique que l’auteur n’a pas pris la peine de problématiser ses parties ni ses chapitres qui portent pour unique titre «1897», «1898»,… Cela favorise sans doute hélas trop le récit au détriment d’un questionnement plus profond sur l’homme : si une biographie ordinaire reste plate quand son organisation est simplement chronologique, que dire de celle d’un personnage pour lequel on manque de sources ? Jarry est un homme très difficile à biographier, avouons-le : peu de documents, ce qui amène à écrire des chapitres qui posent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses ; importance de l’adolescence qui amène un côté téléologique à la première partie de ce travail.

L’auteur a surtout le mérite de tenter de faire la part des choses entre mythe et réalité, de ne prendre en compte que les informations dont on connaît la source, bref, de faire preuve d’une rigueur d’historien, ce qui n’avait pas toujours été le cas auparavant. Certes, cela n’empêche pas qu’on trouve parfois une certaine naïveté, comme dans l’utilisation du guide Joanne pour étudier la situation de Laval ou de Saint-Brieuc à la fin du XIXe siècle : peut-être aurait-on pu mettre à profit des études véritables, des sources plus sérieuses… Mais dans l’ensemble, l’auteur a réussi à tirer parti de la documentation éparse et lacunaire afin de tracer un portrait intellectuel et vivant et de présenter un Jarry aux multiples activités qui ne se réduit pas au scandale, aux canulars et au merdre !

Le grand public connaît d’ailleurs certainement mieux Patrick Besnier par sa participation aux Papous dans la tête de France-Culture que par son activité scientifique. Il est pourtant professeur à l’Université du Maine et auteur de plusieurs livres et articles sur quelques-uns des plus importants et plus intéressants auteurs de XIXe siècle finissant (Mallarmé, Roussel, Lautréamont…). Spécialiste de Jarry, il avait collaboré à l’édition de ses œuvres complètes dans la bibliothèque de la Pléiade. Remarquons que les biographies littéraires publiées chez Fayard sont des livres de grand format et élégants (ce qui ne gâte rien) et surtout que l’auteur cite ses sources (en bas de page) et a agrémenté son étude d’un index : chose suffisamment rare dans l’édition grand public pour qu’elle soit signalée avec reconnaissance.

Ainsi, même si elle possède quelques défauts évidents, cette biographie fera à coup sûr référence puisqu’elle englobe, prend en compte et critique les rares synthèses qui préexistaient. Elle séduira donc tous ceux qui s’intéressent à cet auteur aux origines du théâtre moderne, ceux qui s’intéressent à un Paris fin de siècle bouillonnant d’activité littéraire, ceux, aussi, qui n’hésitent pas à s’exclamer «Cornegidouille !».


Rémi Mathis
( Mis en ligne le 18/11/2005 )
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