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De l’autofiction expérimentale | | | Chloé Delaume La Règle du Je PUF - Travaux Pratiques 2010 / 12 € - 78.6 ffr. / 95 pages ISBN : 978-2-13-057425-5 FORMAT : 12,5cm x 19cm
Lauteur du compte rendu : Docteur en Littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes, Arnaud Genon enseigne à Casablanca. Membre du groupe Autofiction (CNRS-ENS), visiting scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (LHarmattan, 2007), il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org. Imprimer
Lautofiction est un genre très récent pris dans lhistoire de la littérature française. Même si la «chose» existait avant quelle ne fût nommée par Serge Doubrovsky en 1977, sur la quatrième de couverture de Fils (Galilée), elle navait commencé à être explorée, dans lacception doubrovskienne du terme tout au moins, quune cinquantaine dannées auparavant, par Colette (La Naissance du jour, 1928) ou André Breton (Nadja, 1928). Rappelons dabord, avec Chloé Delaume, de quoi il est ici question : «Le pays de lAutofiction impose un pacte particulier : le Je est auteur, narrateur et protagoniste. Cest la règle de base, la contrainte imposée». Là-dessus se greffe limagination, linvention : «A cause de la mémoire, de limpossibilité de sen remettre à elle».
Le genre est donc récent mais déjà renouvelé par le passionnant travail de lauteur du Cri du sablier (Farrago / Léo Scheer, 2000) qui, depuis une dizaine dannées, tricote la fiction et le vécu dans la quinzaine de livres quelle a publiés. Si certains font de lautofiction feignant de ne pas le savoir, si dautres préfèrent taire le nom du genre sulfureux et polémique parce quincompris ou réduit à des critiques dignes des grandes heures du jansénisme (voir les critiques proférées contre le genre dans le chapitre 5) , Chloé Delaume déclare fièrement que son «laboratoire affiche Autofiction résidence principale». Et dajouter : «Les écrivains souvent réfutent les étiquettes, les classifications émanant des critiques. Ils redoutent de finir dans de petits bocaux, bien quaspirant au fond à baigner dans le formol de la postérité. Pour moi, cest tout le contraire. (
) Je ne cherche pas à faire uvre, mais surtout à faire vie».
De la pratique, Delaume passe à la théorisation subjective puisque cet essai, «commandé» en 2008 par Laurent de Sutter, directeur de la collection «Travaux Pratiques» aux Presses Universitaires de France, vise à proposer un point de vue de lintérieur : «Ce quest pour moi lautofiction, le dire, le raconter. Le compte rendu dun Je qui semploie à sécrire, ce que ça peut signifier». On trouve, à lorigine de la pratique autofictionnelle de lécrivain et performeuse, comme souvent dans ce genre dentreprise décriture de soi, une faille, une fracture identitaire : problème de nom, didentité, dÊtre
Lautofiction procède alors pour Delaume dun suicide du Je, «celui davant», au bénéfice dun nouveau, devenu «personnage de fiction qui sécrira lui-même». Lautofiction, nous dit lauteur, est «une fictionnalisation de soi, lucide. Assumant ce qui échappe au soi par linconscient», une autobiographie, pourrait-on dire, consciente de son impossibilité qui se fiera, selon le souhait de Doubrovsky, plus au langage «quà la mémoire et bien plus quà soi-même». A cela sajoute le signe distinctif propre à Delaume et à ceux qui la pratiquent le plus sincèrement : lautofiction est un laboratoire décriture tout autant que de vie, lautofiction est une expérience existentielle.
Mais il est bien difficile dappartenir à cette «maison» nous révèle lécrivain, il est dangereux de lhabiter, de donner son adresse
Cest là le constat quelle a fait lors de la publication de Dans ma maison sous terre (Le Seuil, 2009). Elle nest pas chez elle ici, lui dit-on
Ou pire encore, la maison nexiste pas. Il sagit alors, partant de ses propres textes, dinvestir le mot dun sens que la critique peine à proposer. Il sagit aussi de lutter contre les topoï qui minent le genre, de lui rendre (lui donner) une portée politique : «Juse de la fiction pour construire reconstruire le passé le présent parce que je veux rester maître de mon destin».
Cet essai, disons le, est une fiction
Dans le sens que toute théorie est une fiction. Ou une autofiction qui théorise lautofiction. A coup sûr, une expérience, comme tous les livres de Delaume. Un captivant work in progress : «Le reste est à venir alors il adviendra».
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 30/04/2010 ) Imprimer
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