| Richard Millet L'Enfer du roman - Réflexions sur la postlittérature Gallimard - Blanche 2010 / 18,90 € - 123.8 ffr. / 275 pages ISBN : 978-2-07-012969-0 FORMAT : 15,3cm x 20,4cm
Lauteur du compte rendu : Docteur en Littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes, Arnaud Genon enseigne à Casablanca. Visiting scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (LHarmattan, 2007), il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org. Imprimer
En 2007, Richard Millet, écrivain, éditeur, professeur, publiait chez Gallimard le polémique Désenchantement de la littérature. Dans ce pamphlet, il constatait lappauvrissement, voire même lanéantissement de la langue française, tombée «dans la fange», disait-il, «par fadeur linguistique et flottement syntaxique, sémantique et orthographique». Il annonçait aussi, comme le suggérait le titre, le déclin de la littérature. Les médias et Harry Potter avaient eu raison de la culture française, le nihilisme régnait en maître, il ne restait plus quà clouer le cercueil. Amen.
Trois ans après, ce défenseur des mots, cet illustrateur de la phrase périodique telle que la pratiquait Bossuet, ce nostalgique de lancienne rhétorique se penche plus précisément sur le roman contemporain, sur son enfer ou sur lenfer dont il serait à lorigine, ce quil nomme postlittérature et quil se donne pour objectif de définir et de démolir à travers les 555 fragments que contiennent ses «réflexions». Le roman donc, genre hégémonique, tuerait de sa puissance la littérature. Il aurait perdu sa fonction, celle de dire le monde, de le donner à comprendre, à réfléchir, pour nêtre plus «quun instrument de présentification, de légitimation sociale, comme la télévision, le cinéma, le rock et ses dérivés». La première de ses caractéristiques serait, selon léloquent Millet, dêtre «médiocre», de sécrire dans une langue «potentiellement traduite, donc littérairement annihilée par son indigence : langlais international, qui est le mode dêtre de linsignifiance littéraire». Et Richard Millet de citer, comme sils étaient les plus dignes représentants de la littérature daujourdhui, Marc Levy, Guillaume Musso et Bernard Werber
Plus surprenant, ou plus radical encore dans lart du raccourci, Millet évoque Stendhal et relève «ces petites négligences stylistiques et grammaticales qui seront à luvre dans le langage de nos contemporains» et fait de lui, de Balzac dont la langue charrie «des scories, voire des épaves», mais quil admire par ailleurs de Dumas et de quelques autres, les pères fondateurs de l«écrire mal» qui minerait actuellement le roman. Cest à leur époque et ils en sont les maîtres que «le roman a fixé les dérives linguistiques sur quoi reposent les travers du roman postlittéraire». La postlittérature illustre donc en même temps «lécrire mal» expression qui défend lidée revendiquée dune morale de lesthétique et du goût et la mort du style, ce dernier étant implicitement entendu comme «beau» style, et non pas comme «écart».
Le roman postlittéraire nest donc plus que le lieu de «linsignifiance», du divertissement au sens pascalien du terme, du narcissisme, du nihilisme. Richard Millet semble en savoir beaucoup sur ceux quil dit ne plus lire, ses contemporains, ne pouvant pas estimer leur langue car elle na pas de nation alors quil envisage, lui, «la nation comme rhétorique majeure». Devant la «doxa postmoderne, internationaliste, globalisante, totalitaire», cest tel un solitaire, un «exilé linguistique qui écrit comme on chante dans le noir» quil se dépeint, comme un héros écrivant dans le silence, «parmi les ruines de la littérature française, miroir brisé de la fin du roman»
Dans ces fragments, qui constituent souvent un ressassement du même, finissant, hélas, par tourner à vide, on trouvera lart de Millet, celui du style, tout au moins pour qui aime la grandiloquence lyrique. On sera aussi frappé par lart de la posture. Toute critique à son endroit confortera sa thèse : il est seul face à lignorance généralisée, à lindifférenciation posthumaniste, lui, le garant du juste et du beau, héraut de leur fin. Mais la posture devient parfois imposture, dans le sens quà ne rien sauver ou si peu de notre présent littéraire, on fait croire, à qui veut bien lentendre et ils sont nombreux à être seuls comme Millet que tout se vaut et que donc rien ne vaut. Et lon pourrait alors penser que cette idéologie «décliniste» très à la mode, il est vrai basée sur une vision romantique de lapocalypse littéraire, finit par recéler, finalement, la véritable figure de lauteur narcissique : celui qui ne voit quen sa seule personne, le dernier écrivain digne de ce nom.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 22/10/2010 ) Imprimer
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