|
Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
| |
Camille Laurens : radiographie d’une œuvre | | | Florent Georgesco Camille Laurens Camille Laurens Léo Scheer - Ecrivains d'Aujourd'hui 2011 / 10 € - 65.5 ffr. / 260 pages ISBN : 978-2-7561-0115-6 FORMAT : 10,8cm x 17,7cm
L'auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Enseignant à Casablanca, il est Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University). Auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (LHarmattan, 2007), spécialiste de lécriture de soi dans la littérature contemporaine, il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org Imprimer
En 2007, les éditions Léo Scheer lançaient la collection «Écrivains daujourdhui». Elle se donnait pour objectif de découvrir les auteurs qui font la littérature contemporaine en leur offrant la parole dans un long entretien, en proposant une chronologie-biographie, des notes de lecture sur lensemble de leurs uvres et parfois des textes des écrivains eux-mêmes. Les deux premiers volumes, consacrés à Frédéric Beigbeder et Emmanuel Carrère, avaient tenu leurs promesses. Ils constituaient non seulement une très bonne entrée dans leurs uvres respectives mais aussi, pour ceux qui les connaissaient, un prolongement, une manière daller plus loin grâce notamment aux lectures souvent pertinentes dAngie David.
Le dernier titre de la collection se penche sur le travail de Camille Laurens. Et là encore, le contenu ne déçoit pas. Le long entretien de plus dune centaine de pages, mené par Florent Georgesco avec la participation dAngie David, permet de revenir sur lensemble de luvre de lécrivaine et den mettre en lumière les différentes facettes. Les premiers textes de Camille Laurens étaient loin de lunivers intime et autofictionnel quelle a créé à partir de Philippe (P.O.L, 1995). En effet, le caractère labyrinthique, ludique et légèrement formaliste du cycle composé dIndex (P.O.L, 1991) de Romance (P.O.L, 1992) des Travaux dHercule (P.O.L, 1994) et de LAvenir (P.O.L, 1998) révélait dans une certaine mesure la fascination de Camille Laurens pour «les architectures complexes, très élaborées, du Nouveau Roman, dun Robbe-Grillet par exemple, où lon trouve peu démotion» (p.23). Cependant, LAvenir venait en même temps clore cette tétralogie et marquait le début «dune nouvelle période où lautofiction prend une importance plus grande» (p.54).
Avec Philippe, texte dans lequel lauteure relatait la mort de son enfant quelques heures après sa naissance, Camille Laurens se plaçait dans «un territoire plus clos, et plus grave, plus angoissant. [Elle passait] de lindécidable à la fatalité, et à lindicible, à limpossibilité de dire» (p.41), remarque Florent Georgesco dans lune de ses questions. Et lécrivaine de répondre que cest effectivement cette expérience-là qui la fit «basculer dans un autre rapport à lécriture» (p.41). Lévocation de ce récit est loccasion de revenir sur la polémique qui opposa Camille Laurens à Marie Darrieussecq à la parution de Tom est mort (P.O.L, 2007) et de faire une petite mise au clair, de revenir sur un malentendu, une méprise. Dans «Le syndrome du coucou», texte quelle publia dans La Revue littéraire, Camille Laurens sétait livrée à une critique «certes féroce» (p.49) du roman de Darrieussecq. Elle lui reprochait davoir «écrit un livre en toc, hors de toute éthique» (p.50), «quelque chose de fabriqué 'un faux témoignage comme le dit Philippe Forest» (p.48) et non pas, comme de nombreux commentateurs avaient voulu le faire croire, «un manifeste pour interdire la fiction sur certains sujets» (p.49). Pour Camille Laurens, Marie Darrieussecq avait écrit Tom est mort «à lintérieur» de son récit Philippe et elle ne pouvait que dénoncer ce «sentiment dune odieuse parodie» (p.49).
Ce débat finit par opposer alors que là nétait pas la question initiale les défenseurs dune littérature dinvention, dimagination à lautofiction dont certains dénonçaient les impasses. Et cest depuis cette «tempête médiatique» que Camille Laurens déclare avoir envie «de défendre [lautofiction] aujourdhui, par réaction, alors quavant ce label [l] agaçait» (p.52). Ce genre, elle lenvisage dans lacception de linventeur du néologisme, Serge Doubrovsky, pour qui le narrateur du roman doit employer la première personne et porter le nom de lauteur. Lautofiction devient ainsi «une réflexion permanente sur ce quest le je dans lécriture, sur le rapport à lidentité, au nom propre» (p.53). Et il est dautant plus problématisé dans ses textes que ses narratrices se nomment en général «Camille», mais que ce nom nest pas le vrai nom de lauteure qui se nomme en réalité Laurence Ruel : «donc je rajoute une strate à cette question, je perturbe un peu plus encore la relation au réel» (p.53), note-t-elle.
Lentretien est aussi loccasion de revenir sur les trois textes que Camille Laurens a consacrés à la langue, aux mots Quelques-uns (P.O.L, 1999), Le Grain des mots (P.O.L, 2003), Tissé par mille (Gallimard, 2008) et dévoquer non seulement limportance quelle accorde à la langue mais aussi sa situation par rapport à lhistoire de la littérature : «une recherche déquilibre» (p.61) entre les conceptions classique et moderne de la langue.
Florent Georgesco évoque ensuite les motifs récurrents qui innervent luvre de Camille Laurens. Lamour, le désir, la transmission du désir, lidée dun destin féminin, labsence, laliénation. Lauteure y développe sa conception du roman à «lère du soupçon» et, avec Angie David, soulève la dimension ethnographique de son dernier texte publié, Romance nerveuse : «je trouve malhonnête de parler de nombrilisme, comme cela arrive encore, ou de mopposer un soi-disant roman-monde [
] : je raconte ce que je vois de mon époque, de la société dans laquelle je vis» (p.108), conclut-elle.
Cécilia Dutter, Arnaud Bongrand, Angie David, Florent Georgesco et Julia Curiel se livrent ensuite à une véritable radiographie de luvre de Camille Laurens : chacun de ses livres est analysé dans une dizaine de notes de lecture souvent très justes. Le volume se ferme sur trois textes que Camille Laurens avait publiés dans La Revue littéraire, suivis du texte dune conférence donnée en 2008 à Cerisy-la-Salle. Dans le premier dentre eux, «LAmour, cinéma», Camille Laurens sintéresse au film de Jean Paul Civeyrac Doux amour des hommes quelle analyse comme étant «exemplaire dun fait individuel et social contemporain dont le cinéma et la littérature commencent seulement à rendre compte : le malaise profond, le mal être lancinant, la mélancolie douloureuse des hommes» (p.194). «Jour de foire» applique, de manière jubilatoire, à Pierre Jourde et son roman Festins secrets, la «méthode critique» quil avait lui-même appliquée dans La Littérature sans estomac (2002) à de nombreux écrivains contemporains, parmi lesquels Camille Laurens
Enfin, «Marie Darrieussecq ou le syndrome du coucou» et «Qui dit ça ?» reviennent sur la polémique liée à la parution de Tom est mort et sur ses enjeux.
Le volume de la collection «Écrivains daujourdhui» consacré à Camille Laurens est donc des plus riches et nous amène à mieux suivre le parcours dune auteure qui marque résolument la littérature contemporaine.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 29/08/2011 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Dans ces bras-là de Camille Laurens Romance nerveuse de Camille Laurens Tom est mort de Marie Darrieussecq | | |
|
|
|
|