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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Punition divine
Brenton Hobart   La Peste à la Renaissance - L'imaginaire d'un fléau dans la littérature au XVIe siècle
Classiques Garnier - Géographies du monde 2020 /  48 € - 314.4 ffr. / 1016 pages
ISBN : 978-2-406-08996-4
FORMAT : 15,0 cm × 22,0 cm

Frank Lestringant (Préfacier)
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On sait que «grand personnage de l’histoire d’hier», la peste était réapparue en Occident avec une extrême brutalité en 1346 pour y faire disparaître quasiment la moitié de la population. Loin d’être une exclusivité médiévale, elle continua à sévir régulièrement jusqu’en 1722. L’épidémie engendre mort, peur et violence et vient ajouter sa note macabre aux autres maux, guerres, famines et autres contraintes du temps. «Dans l’Ancien Régime, tout homme de vingt-cinq ans a, une fois dans sa vie, connu la peste», constatait son grand historien, Jean-Noël Biraben (Les Hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, Paris-La Haye, Mouton, 2 vol., 1975-1976). Dans la réalité, elle était essentiellement caractérisée par son caractère massif et foudroyant qui frappait de terreur. Car la peur est bien ce que tous ressentaient à l’annonce de l’épidémie, laquelle est à considérer comme une composante essentielle de l’histoire des émotions. Considérée comme punition envoyée par Dieu à l’homme pécheur, elle participait de la culpabilisation du chrétien naguère décrite par Jean Delumeau (Le Péché et la peur : La culpabilisation en Occident (XIIIe-XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 1978). Elle imposait l’arrêt brutal des circulations et des activités économiques ; contre les épidémies, on était en effet alors démuni, faute d’en connaître les mécanismes de transmission (bacille-puce-rat) : force était de passer, pour tenter de la circonscrire, du médical au sanitaire, à la gestion administrative, policière du confinement.

Extraordinaire objet d’étude historique, la peste a été l’objet, ces dernières années, de remises en situation inédites, ainsi que d’un renouvellement profond de ses sources (archives biologiques, squelettes conservés dont on peut prélever et exploiter l’ADN, travaux de l’archéozoologie, éclairant l’histoire des populations de rongeurs et de leurs puces) ; elle a également bénéficié du choc des anniversaires et de l’actualité (Gilbert Buti, Colère de Dieu, mémoire des hommes. La peste en Provence. 1720-2020, Cerf, 2020). De son côté, l’étude de la littérature découvrant son imaginaire nous convie à un passionnant voyage. Peste et Renaissance y trouvent un rapprochement surprenant, suggestif et protéiforme qui sculpte un paysage nouveau où l’air d’un temps marqué, «affligé», par les troubles des guerres civiles se mue en une véritable image d’Apocalypse : «… ce feu [qui], selon Agrippa, d’Aubigné, menace et promet à la terre, / Louche, pâle ou flambant, peste, famine ou guerre» (p.776) y éclaire un printemps prometteur qui s’abîme dans la froide noirceur de la maladie…

La méthodique thèse de Brenton Hobart progresse chronologiquement à travers un corpus qui s’ancre dans Thucydide et Homère et bénéficie du progrès de l’imprimerie et de l’activité des traducteurs : «La maladie naît dans l’Antiquité et passe par de nombreuses traductions, imitations, hyperboles, ainsi que par des intertextes avant d’arriver au seuil du XVIe siècle» (p.803), puis elle y chemine à travers les traductions – Thucydide et l’Histoire ecclésiastique par Claude de Seyssel, la Bible d’Olivétan, Boccace par Antoine Le Maçon, L’Iliade par Hugues Salel, les Géorgiques par Richard Le Blanc – et s’y épanouit en récits plus personnels – avec Clément Marot, Rabelais, Michel de Nostradame, Pierre Boaistuau, Ambroise Paré, Montaigne et Agrippa d’Aubigné – transportant les clichés sans cesse remoulus d’un imaginaire la constituant en mal universel rapporté à la main de Dieu. Et, à l’heure du bilan, ces démarches s’entrecroisent et donnent cohérence à leur temps : «Il n’est pas étonnant que les récits de ce fléau qui circulaient en français dans les traductions des œuvres de certains des plus illustres auteurs de l’Antiquité grecque et romaine (Homère, Thucydide, Virgile, Ovide, Eusèbe) et du Moyen Âge (Boccace, Chauliac) trouvent leur place dans les œuvres majeures de certains des plus illustres auteurs de la Renaissance française : Marot, Rabelais, Nostredame, Boiaistuau, Paré, Bèze, du Bartas [deux auteurs non étudié dans ce livre], Montaigne, d’Aubigné». Et Brenton Hobart institue cette peste «imagée, hyperbolisée, magnifique» en «miroir du monde à la renaissance», allant, à terme, jusqu’à l’identifier à elle (pp.825-826).

Prolongeons l’histoire au XVIIe siècle : au sens propre avec Françoise Lavocat (dir.), Pestes, incendies, naufrages Écritures du désastre au dix-septième siècle, Brépols, 2011, mais aussi au sens figuré de mal politique dont atteste le célèbre Dictionnaire de Trévoux : «Peste, se dit aussi assurément en morale, des esprits dangereux, ou des choses funestes ou pernicieuses. L’hérésie, le libertinage sont des pestes qui corrompent les esprits. La flatterie est la peste des cours». Le grand amateur de lieux communs qu’était Richelieu en tirera les leçons dans son fameux Testament politique : «Il faut chasser ces pestes publiques et ne les rapprocher jamais s'ils n'ont entièrement déposé leur venin, ce qui arrive si peu souvent que le soin qu'on doit avoir du repos oblige plutôt à la continuation de leur éloignement que la charité ne convie à leur rappel».

Et l’histoire se poursuit encore aujourd’hui, à tel point que Brenton Hobart peut conclure sa recherche en termes contemporains : «Si la peste est toujours vivante de nos jours, tapie entre de nombreux attributs littéraires et de nombreuses maladie réelles, elle existe également sous sa forme primitive, originelle. La peste est donc également comme les grands singes actuels, qui, proches de l’homme, vivent néanmoins toujours dans la jungle, puisque sortent tous les ans de nouvelles fictions et de nouvelles études historiques dans lesquelles est rabâchée la forme fortement codifiée et reconnaissable (primitive) de la maladie» (p.821).


Françoise Hildesheimer
( Mis en ligne le 03/03/2021 )
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