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Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
| W.H. Auden Shakespeare Le Rocher - Anatolia 2003 / 25 € - 163.75 ffr. / 466 pages ISBN : 2 268 04741 5 FORMAT : 16 x 23 cm
Sous la direction dArthur Kirsch.
Traduit de langlais par Dominique Goy-Blanquet (avec le concours du Centre national du livre). Imprimer
Du 9 octobre 1946 au 14 mai 1947, W.H. Auden propose à la Nouvelle Ecole de recherche sociale, située dans le quartier new-yorkais de Greenwich Village, un cycle de conférences hebdomadaires sur Shakespeare, étudiant de façon chronologique luvre du dramaturge élisabéthain. Le public vient en grand nombre écouter le célèbre poète-essayiste dorigine anglaise tout juste naturalisé américain.
Lidée de rassembler ses conférences dans un livre neffleure visiblement pas Auden. Il sexprime à partir de notes non rédigées quil ne conserve pas. Démarche quil accomplit en revanche quinze ans plus tard en mêlant dans The Dyers Hand, essais, commentaires sur la poésie (shakespearienne en particulier), lart ou la vie et une série de conférences données à Oxford. Cest donc luniversitaire Arthur Kirsch qui, à laide des notes de quatre auditeurs attentifs mais nécessairement faillibles, assemble patiemment le puzzle et restitue la parole envolée.
La mise en forme de cette titanesque entreprise force le respect. Quant au contenu, il est, à limage de son auteur, éblouissant dintelligence. Auden démarre parfois dans le vif du sujet. En dautres occasions, montrant au passage ses talents de pédagogue, il choisit de développer des idées plus générales (la pastorale et le primitivisme Comme il vous plaira, les différents types de comédies shakespeariennes La Nuit des Rois, les sens variables du mot nature Le Songe dune nuit dété
) et réduit, de ce fait, lanalyse de la pièce en question. Sa vision des personnages, qui séloigne des sentiers battus, offre de nombreuses pistes de réflexion.
Décelant lintérêt croissant de Shakespeare pour «les états ontiques», il remarque par exemple : «Regardez Béatrice ou Bénédict ; vous dites : oui, voilà une personne que je pourrais rencontrer pour dîner et bavarder. Dans les pièces plus tardives, face à des gens comme Iago ou Lear, vous dites : non, je ne crois pas que ce soit là une personne que je pourrais rencontrer, mais cest un état dont tôt ou tard, au cours dune vie dhomme, on fait lexpérience.» Très dubitatif à propos de lamour romantique, il suspecte Roméo et Juliette de confondre «romance et amour» et préfère de loin la passion dAntoine et de Cléopâtre qui «ne se font pas un gramme de confiance.»
Volontiers provocateur, Auden distribue bons ou mauvais points et ne mâche pas ses mots : «La Mégère apprivoisée [
] est la seule pièce de Shakespeare qui soit un échec total [
] lintrigue de La Mégère relève de la farce, et Shakespeare nest pas un auteur de farce.» Illustrant à merveille son idée de la critique comme «une conversation à bâtons rompus», il soffre souvent des digressions religieuses et philosophiques qui reflètent davantage ses préoccupations quelles ne permettent dexpliquer la pensée de Shakespeare. Le monologue de Richard ;III sur le champ de bataille de Bosworth qui aboutit à une réflexion sur «le moi essentiel et le moi existentiel» peut laisser le lecteur quelque peu perplexe !
Cependant lintérêt du livre naît aussi de ce va-et-vient permanent entre une pensée riche, nourrie dune culture multiforme (de Kierkegaard à lopéra en passant par Virginia Woolf ou TS Eliot), et une uvre dense. Eclairant Shakespeare, Auden se met en lumière. Saluons donc linitiative de cette publication à loccasion du trentième anniversaire de la mort du poète ainsi que la très grande qualité de la traduction.
Florence Cottin ( Mis en ligne le 02/01/2004 ) Imprimer | | |
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