| |
Voyage en autobiographies | | | Philippe Vilain Défense de Narcisse Grasset 2005 / 16 € - 104.8 ffr. / 234 pages ISBN : 2246672716 FORMAT : 12 x 19 cm
L'auteur de l'article : Arnaud Genon est professeur certifié en Lettres Modernes, doctorant à l'université de Nottingham Trent, où il termine une thèse sur Hervé Guibert, et membre du Groupe Autofiction ITEM-CNRS. Imprimer
Lautofiction semble sancrer de plus en plus fortement dans les champs de recherches de la littérature contemporaine. Après létude de Philippe Gasparini, Est-il je? Roman autobiographique et autofiction (Seuil, Poétique, 2004), lessai de Vincent Colonna, Autofiction & autres mythomanies littéraires (Tristram, 2004), cest au tour de Philippe Vilain, auteur lui-même de textes autobiographiques (LÉtreinte, La Dernière Année, Le Renoncement et LÉté à Dresde, publiés respectivement en 1997, 1999, 2001 et 2003 chez Gallimard) de proposer une Défense de Narcisse (Grasset, 2005).
Son propos, on le comprend à la simple lecture du titre, est sans ambiguïté : il sagit de se faire lavocat dun pan important de notre littérature actuelle trop souvent vilipendée sur la base de critères moraux et non esthétiques, comme on lattendrait. Ce «mépris intellectuel» (p.7) dont souffre lécriture autobiographique, plus précisément lautofiction, est paradoxalement un mépris imputable à la méconnaissance du genre. Là où lon voit souvent narcissisme, mesquineries du moi, impudeur outrancière, on oublie que cest face à des objets littéraires que nous nous trouvons, face à des écritures et des démarches qui ne visent pas lauto-contemplation, comme certains voudraient le faire croire, mais qui tendent à une recréation du moi dans lespace textuel, à une littérarisation de soi.
Philippe Vilain explique justement que le geste dinscription du sujet ne peut en aucun cas être léquivalent de leau dans laquelle Narcisse se mirait. Car lécriture de soi ne conduit pas à une autoreprésentation simple et limpide mais, au contraire, à son échec. Le moi représenté dans le texte nest en fait quun autre moi, un double, un simulacre comme lexplique lauteur : «quand écrire sur soi conduit fatalement à se rater, à se représenter limage dun autre, la plus fidèle représentation de soi ne devrait-elle pas alors se trouver, plus subtilement, non dans limage dissemblante de soi, non dans cette peinture manquée, mais dans le geste même de ce ratage dont linaccomplissement même renvoie à limpossibilité de se figurer totalement en autre et permet déjà de se représenter par défaut ?» (p.19) Ainsi parlait déjà Michel Leiris de lacte autobiographique, en 1948, dans Biffures (Gallimard) : «cette course tendue qui, devenue son propre objet
»
Lauteur, on le sait, connaît son sujet puisque, avant dêtre essayiste, il est de ces écrivains deux-mêmes, souvent incriminés. Il évoque ainsi dans son texte certaines de ses uvres et notamment celles où sa relation avec Annie Ernaux, qui fit de lui le personnage principal de LOccupation (Gallimard, 2002), est abordée. Ainsi sont mises à jour les relations intertextuelles, les échos, la genèse de luvre autofictive qui, contrairement aux a priori, naît autant du moi que de lAutre.
Fictionnalisation de soi, écriture et psychanalyse, «cartographie du littéraire» sont autant dautres thèmes approchés qui font de cet essai un ouvrage riche et utile sur lécriture du moi. Le long entretien avec Serge Doubrovsky qui vient clore lanalyse (dans lequel nous apprenons la volonté de linventeur du concept dautofiction décrire un essai sur le sujet) permet, une fois encore, de clarifier certains aspects de ce genre, qui, quoi quon en dise, se porte bien, et continue à faire parler de lui.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 11/02/2005 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Renoncement de Philippe Vilain | | |