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Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
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Stendhal au risque de la sociologie | | | Jacques Dubois Stendhal - Une sociologie romanesque La Découverte - Textes à l'appui 2007 / 23 € - 150.65 ffr. / 250 pages ISBN : 978-2-7071-5089-9 FORMAT : 13,5cm x 22,0cm
L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de lInstitut dEtudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez LHarmattan, de Individualité et subjectivité chez Nietzsche (2004). Imprimer
La sociologie reconnaît depuis longtemps sa dette à légard de la littérature. On se souvient notamment du livre que Bourdieu consacra à Flaubert (Les Règles de lArt) en 1992. Lauteur de Stendhal, une sociologie romanesque, Jacques Dubois, a lui-même déjà rendu par le passé hommage au génie sociologique de Proust. Selon lui, les romans ne livrent pas seulement aux sciences sociales des scènes de la vie quotidiennes, des reflets dune époque qui peuvent, à ce titre, faire lobjet dune observation au moins ethnographique, ils recèlent à létat latent, un regard sociologique à part entière quil appartient au chercheur daujourdhui de mettre au jour.
Stendhal se prête tout particulièrement à ce travail. Enfant du bonapartisme, observateur désabusé dune société «bloquée», celle des élites sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, il fut, selon Dubois, un homme de gauche, un libéral tenté par le jacobinisme. Pourtant ses personnages principaux, dont les caractéristiques sociales se rattachent à la fois à laristocratie et à la bourgeoisie, tout en étant sensibles à lémancipation du peuple, présentent des traits individuels socialement contradictoires et sassocient principalement en fonction dune aptitude à transformer en défis de «primitifs» leur inadéquation à leur milieu. Un idéal individualiste inspire Stendhal, qui le rend moins compatible a priori avec une grille de lecture structurale à la Bourdieu que Balzac ou Flaubert. Pour autant, Dubois montre combien les intrigues amoureuses des romans stendhaliens sont profondément travaillées par la structure sociale de leur époque. Les passions de leurs héros métissés, en lutte contre les déterminations de leur milieu, sont autant de stratégies pour retourner contre autrui la violence symbolique quils subissent.
Lamour devient ainsi pour ces hommes et ces femmes un moyen privilégié de mise en uvre de stratégies, pour obtenir une reconnaissance, quand la voie de lascension politique est définitivement barrée. A travers les concepts des sociologues Bernard Lahire et Axel Honneth, cest une vision hégélienne voire sartrienne des rapports humains que Jacques Dubois retrouve chez Stendhal. Par là même, à travers une sociologie de Stendhal, et, pourrait-on dire, une sociologie du Stendhal sociologue, on devine lesquisse dune véritable contribution à la sociologie du bonapartisme, ou disons une sociologie des lendemains du bonapartisme, des lendemains de conquêtes, quand, post festum, il nest plus de réalisation sociale que dans livresse amoureuse et dans lironie sur les pouvoirs établis. De ce point de vue la littérature stendhalienne ne dit peut-être pas autre chose que lintroduction de Musset à la Confession dun enfant du siècle, avec toutefois une dose dhumour et de puissance en plus.
Ainsi lanalyse de Dubois qui emprunte à la sociologie un grand nombre de notions nous éclaire non seulement sur la littérature du début du XIXe siècle en tant que telle, mais montre aussi en quoi celle-ci a pu préparer les esprits à la naissance, à partir dAuguste Comte, dune science de lobjectivation des faits sociaux. Cet essai dune lecture agréable, qui échappe aux pesanteurs de nombreuses thèses académiques, fait redécouvrir le corpus stendhalien sous un angle dapproche nouveau, qui peut aussi servir à la réflexion sur lépoque actuelle.
Christophe Colera ( Mis en ligne le 16/04/2007 ) Imprimer
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