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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Ah, rouvrez les maisons !
Daniel Grojnowski   Mireille Dottin-Orsini    Collectif   Un joli monde - Romans de la prostitution
Robert Laffont - Bouquins 2008 /  30 € - 196.5 ffr. / 1117 pages
ISBN : 978-2-221-10391-3
FORMAT : 13,5cm x 20,0cm
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La Fille de Joie… La Grue… La Beauté vénale… La Frangine… La Vendangeuse d’amour… Celle qui fait la chandelle au coin de la rue ou celle qui préfère arpenter. Celle qui accoste furtivement son miché sous un porche pour négocier la chose. Celle qui se vautre à côté de son Monsieur sur quelque divan pisseux de maison close et lui glisse à l’oreille d’aguicheuses ellipses, sans omettre de préciser le tarif, forcément dérisoire puisqu’«elle fait tout»…

La littérature regorge de ces figures féminines, captivantes au plein sens du terme, aussi accessibles physiquement qu’insaisissables en leur âme. Le premier sans doute à avoir poétisé les charmes de ces goules du trottoir fut Baudelaire dans ses capiteuses Fleurs du mal. La présente anthologie donne plutôt à lire des nouvelles, des romans in extenso ou des extraits d’œuvres incontournables telles que Nana. Toutes les éminences du naturalisme et du décadentisme se voient convoquées, à commencer par Joris-Karl Huysmans, Edmond de Goncourt ou Guy de Maupassant. Mais le mérite de l’ouvrage est de ne pas se cantonner aux murs de La Maison Tellier ou à l’humiliation de Boule de Suif, pour battre des pavés injustement méconnus et trop peu fréquentés.

Ainsi l’occasion nous est-elle offerte de redécouvrir quelques minores des Soirées de Médan comme Léon Hennique ; de faire un détour par le Riddyck, quartier réservé d’Anvers, avec pour cicérones Eekhoud et Lemonnier ; de suivre les tribulations du maquereau Bubu de Montaparnasse en compagnie de Charles-Louis Philippe ; de tâter de la Chair molle dont Paul Adam se fait le pourvoyeur ; et enfin, et surtout, de nous laisser refiler avec une délectation qui frôle le masochisme, le fameux Virus d’amour inoculé avec grand art par Adolphe Tabarant.

Ce dernier titre constitue sans conteste la plus inestimable perle de l’ensemble. Le lecteur y assiste, phase après phase, à l’inéluctable décrépitude d’une Alphonsine grignotée, rongée, puis carrément dévorée par la syphilis. Écrit avec un luxe de détails inouï, Virus d’amour est un mélange détonant de lexicologie médicale et de registre populaire, le tout sur un fond de style indirect libre qui insuffle une réelle détresse au monologue du personnage face au mal qui va l’emporter. Cette débauche stylistique amène d’ailleurs à s’interroger sur la démesure du texte original, car la version présentée ici – la seule qui subsiste, éditée par le Bruxellois Kistemaekers en 1886 – comporte de larges passages caviardés.

Une telle gageure littéraire permet également de dégager l’ambiguïté terminale qui règne sur nombre d’ouvrages de cette veine putassière : la frontière entre complaisance à dépeindre le vice et souci de faire surgir une réflexion morale y est, pour le moins, floue. La portée édifiante (voire prophylactique !) de leur prose, revendiquée par certains auteurs qui se risquèrent à évoquer le sujet, n’empêche pas qu’ils eurent maille à partir avec la censure. À l’époque, l’obstacle se contournait en se faisant habilement éditer en Belgique, terre de vitrines et de liberté.

La fin du volume rassemble un florilège de textes à valeur plutôt documentaire, dont de saisissants passages de La Prostitution à Paris au XIXe siècle, référence signée Alexandre Parent-Duchâtelet, ou encore quelques morceaux choisis des délires scientistes de Cesare Lombroso, qui s’acharna à prouver la propension à la «prostitution innée» chez les femmes se livrant au plus vieux métier du monde.

Osez donc emboîter le pas à ces statues fardées de fatigue, ces enchanteresses du bidet, ces reines de la galipette à deux sous, qu’elles soient en carte ou non. Allez avec elles au bout de l’impasse du désir et de la déperdition. Et gageons qu’à l’instar du Frédéric de L’Éducation sentimentale, vous serez bien tentés de conclure : «C’est là ce que nous avons eu de meilleur !»


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 20/02/2008 )
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